« Il n’est pas d’idée plus erronée et plus nuisible que celle qui consiste à séparer la politique extérieure de la politique intérieure. Et en temps de guerre ce mensonge monstrueux devient encore plus monstrueux. Or, du côté de la bourgeoisie, on fait tout le possible et l’impossible pour inculquer et maintenir cette idée. L’ignorance des masses populaires est infiniment plus répandue en matière de politique extérieure que de politique intérieure. Le « secret » des relations diplomatiques est pieusement observé dans les pays capitalistes les plus libres, dans les républiques les plus démocratiques. » (Lénine : « La politique extérieure de la révolution russe » 15 juin 1917 T25 œuvres complètes)
1/ Rappel de quelques positions marxistes sur la formation des nations, la guerre et le prolétariat.
1.1 Contrairement au pacifisme, le marxisme n’a pas de position a -priori contre la guerre en général. Il ne fait pas reposer ses prises de position sur des considérations morales mais historiques.
Marx a d’ailleurs souligné que la guerre était devenue une branche de l’économie de plus en plus importante dans la division du travail et certains peuples ont pu même faire de la guerre leur spécialité comme d’autres s’étaient spécialisés dans le commerce, l’agriculture ou l’élevage.
Marx et plus particulièrement Engels ont développé une analyse de l’évolution historique des guerres selon la méthode du matérialisme historique qui montre que cette évolution relève , comme celle des rapports sociaux en général, du déterminisme économique et de la lutte des classes.
Dans la mesure où la révolution prolétarienne est la dernière des révolutions de classe et où la société communiste qu’elle vise à libérer des entraves du capitalisme est la solutions de tous les antagonismes sociaux, la guerre disparaîtra avec la victoire internationale du communisme, car elle deviendra alors sans objet.
En outre les guerres comme l’exercice de la violence dans les sociétés de classe jouent un rôle déterminant dans le passage d’une forme de production à une autre et jouent, par conséquent, un rôle révolutionnaire et progressiste selon l’issue des conflits armés. Le prolétariat lui-même doit mener une guerre civile contre la bourgeoisie pour s’émanciper et il sera certainement obligé de mener une guerre révolutionnaire pour imposer sa dictature de classe à l’échelle internationale.
Ce qui compte pour le marxisme, c’est donc le rôle que peut jouer telle ou telle guerre dans le progrès des forces productives de l’humanité et, depuis l’apparition du mode de production capitaliste et du prolétariat, dans le déclanchement de la révolution communiste.
La position stratégique du parti révolutionnaire prolétarien varie donc dans les différents types de guerres selon des critères fixes et qui lui sont propres en fonction du but poursuivi. L’application de la stratégie dépendant évidemment des conditions de lieu et d’époque selon le rapport de force entre classes et entre Etats.
1.2 Révolutions multiples dans l’aire euro-nord-américaine.
1.2.1 Dans les guerres entre Etats au sein de l’aire euro-nordaméricaine, jusqu’à la Commune de Paris en 1871, le prolétariat luttait aux côtés de la bourgeoisie révolutionnaire pour la constitution d’une nation moderne centralisée avec un marché unitaire et une libre circulation des biens et des personnes contre les vestiges de la féodalité et les Etats de l’ancien régime fondés sur le morcellement et les îlots fermés de production. Il luttait pour l’instauration de la république démocratique, même s’il n’y mettait pas le même contenu que la bourgeoisie. Notamment sous les notions de Liberté, d’Egalité et de Fraternité qui, pour la bourgeoisie, se limitent de manière abstraite à des principes juridiques fondés sur la propriété privée. Les prolétaires n'étant propriétaires que de leur force de travail et la propriété privée capitaliste allant en se concentrant entre un nombre relativement toujours plus réduit de capitalistes, ces notions bourgeoises à la base de la République démocratique sont d’autant plus abstraites et purement mystificatrices. Pour le prolétariat la République démocratique ne constitue en réalité que le terrain le plus avantageux, débarrassé des scories de l’ancien régime et des classes précapitalistes réactionnaires, pour entamer la lutte de classe directe contre la bourgeoisie en fonction de ses propres intérêts historiques.
Cette stratégie n’exclue pas, au contraire, la constitution du prolétariat en classe autonome et en parti ouvrier distincts de la bourgeoisie et des autres classes sociales, et par conséquent l’affirmation de son propre programme révolutionnaire.
Le prolétariat peut alors lutter avec la bourgeoisie contre un ennemi commun (révolution française et guerres napoléoniennes), jusqu’au point où la lutte s’engage sur le terrain national lui-même entre les deux classes (en France : Babeuf puis révolution de juin 1848 et Commune de Paris en 1871). Ce fut la stratégie démocratique et révolutionnaire défendue par Marx et Engels en 1848 jusqu’à 1871 également dans les guerres de systématisation nationale (guerres austro-italienne, austro-prussienne et franco-prussienne)[1]. La lutte des classes débouche sur la lutte entre Etats et inversement.
Le parti du prolétariat apporte donc son appui à la bourgeoisie dans les guerres de systématisation nationale et toutes les guerres antiféodales, et peut même parfois pousser celle-ci à entrer en guerre lorsqu’elle se révèle trop timorée (guerre de Crimée) tout en critiquant impitoyablement les atermoiements et les limites de sa politique.
1.3 Aire euro-nord-américaine et guerres impérialistes
1.3.1 Passé 1871, et la Commune de Paris fourni l’enseignement définitif du changement de nature de la guerre en Europe et de stratégie du prolétariat pour cette aire géo-historique, les Etats bourgeois opposés dans la guerre ne font plus qu’un face au prolétariat révolutionnaire, quelle que soit leur forme de gouvernement, monarchique, bonapartiste ou républicaine.
La leçon qu’en tire le parti implique une stratégie pour laquelle le prolétariat ne doit plus apporter son soutien à sa bourgeoisie lors des guerres entre Etats et doit mettre en place la stratégie du défaitisme révolutionnaire. Autrement dit lutter pour la défaite de sa propre bourgeoisie et tenter de transformer la guerre impérialiste en guerre civile. Ce n'est qu’ainsi que peut se manifester réellement l’internationalisme prolétarien, se concrétiser l’appel fameux : « prolétaires de tous les pays unissez-vous », et non sous la forme poussive, illusoire et fallacieuse du pacifisme bourgeois et petit-bourgeois.
Par conséquent, passé 1871, le parti révolutionnaire considère close pour cette aire l’époque des guerres de systématisation nationale (excepté pour la Pologne, pour l’Irlande et pour les Balkans) et la stratégie de soutien du prolétariat à ces mêmes guerres.
1.3.2 La Pologne était encore dominée et divisée par les Empires Russe, Prussien et Autrichien qui opprimaient par ailleurs un grand nombre de nationalités sur les marches orientales de l’Europe, en Asie et dans les Balkans, tout comme l’Empire turc ottoman. L’oppression des nationalités dans ces empires multinationaux sera d’ailleurs un des motifs dans le déclenchement de la première guerre mondiale.
La question polonaise gardait donc toute son importance pour la révolution après 1871 car son indépendance aurait lancé le signal de la révolution au cœur même des puissances de la vieille Sainte-Alliance et en particulier de la Russie tsariste qui demeurait alors le gendarme de l’Europe et un verrou pour l’extension du développement des forces productives modernes et du prolétariat en Asie. Les principaux Etats d’Europe continentale avaient au contraire intérêt au maintien de la division de la Pologne. La France par son alliance avec le Tsar, l’Allemagne prussienne pour conserver ses territoires en Prusse orientale et l’Autriche ses territoires en Galicie.
1.3.3 L’Irlande est véritablement un cas particulier et donnera lieu à des remarques intéressantes de Marx et d’Engels qui débordent ce cas lui-même et sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Car l’Irlande fut la première colonie de l’Angleterre ; un réservoir de matières premières et de main-d’œuvre. La colonisation de l’Irlande par l’Angleterre a constitué un des évènements fondamentaux dans « l’accumulation primitive » du capital pour la bourgeoisie anglaise, avant même son expansion outre Atlantique. Par la suite, l’oppression de la nationalité irlandaise contribua au maintien du prolétariat anglais comme queue du parti libéral et au triomphe du réformisme dans ses rangs.
1.3.4 Désormais toutes les guerres entre les grands Etats de cette aire se résument à des guerres de brigandage en vue d’annexions ou en vue de détourner la lutte révolutionnaire du prolétariat vers des intérêts bourgeois nationalistes. Plus que jamais le slogan du Manifeste Communiste : « Les prolétaires n’ont pas de patrie » prend tout son sens !
1.4 L’aire Européenne et l’aire Grand-Slave.
1.4.1 « Le cycle historique de la formation des Etats nationaux bourgeois, parallèle à la diffusion de l’industrialisation et à la formation de grands marchés, embrasse indéniablement l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie. D’autres puissances mineures peuvent être considérées comme des nations établies : Espagne, Portugal, Belgique, Hollande, Suède, Norvège. La revendication marxiste s’étend de manière typique à la Pologne et vaut surtout comme déclaration de lutte ouverte contre la « Sainte-Alliance » formée par la Russie, l’Autriche et la Prusse. Mais dans la vision marxiste, ce cycle s’achèvera sans que soit résolu, entre autres, le problème des Slaves de l’Est et du Sud. » (Amadeo Bordiga « Facteur de race et de nation dans la théorie marxiste » édition Prométhée p.134)
La question nationale avec la diffusion des rapports de production capitalistes se posait par conséquent toujours après 1871 pour l’aire slave et les Balkans, mais elle ne se posait pas nécessairement de la même manière. Nous laisserons de côté la question des Slaves du Sud[2]. Rappelons tout d’abord que pour Marx les moscovites étaient plus proches des Mongols que des Slaves, et les conclusions qu’il en tirait concerne la question du cycle national en Europe et de sa clôture après 1871. Il intéresse également la question de la guerre en Ukraine 150 ans plus tard :
« Du point de vue marxiste, le fait que les Grands-Russiens doivent être considérés comme des Mongols et non comme des Aryens (il y a un vieux dicton que Marx rappelle souvent : grattez le Russe et vous trouverez le Tartare) nous intéresse dans la mesure où il permet de répondre à la question suivante, qui est fondamentale : pour clore le cycle au cours duquel les forces de la classe laborieuse européenne doivent se consacrer à la cause de la formation des nations (après quoi en Europe, c’est la révolution prolétarienne qui est à l’ordre du jour), faut-il attendre la formation d’une immense nation capitaliste slave comprenant tout l’Etat russe , ou du moins s’étendant jusqu’à l’Oural ? La réponse était alors que la constitution des Etats nationaux modernes comme condition de la révolution ouvrière concerne une aire qui s’arrête à l’Est de la Pologne, en englobant éventuellement une Ukraine et une Petite Russie bornées par le Dniepr. Voilà l’aire européenne de la révolution, celle qui devait être investie la première, et le cycle qui prélude à la période suivante, celle de l’action purement classiste, se clôt pour cette aire en 1871. »
(Idem p.137)
1.4.2 Dans toutes les phases historiques le marxisme conçoit la révolution comme un phénomène international, mais la révolution communiste n’a pu quitter le domaine de l’utopie ou des rêveries réactionnaires pour devenir une possibilité historique de plus en plus nécessaire à l’avenir de l’humanité qu’à partir du moment où le capitalisme en a ouvert la voie en Europe occidentale, et en tout premier lieu en Angleterre. En 1848 ce n’est que dans ce dernier pays que les forces productives sont suffisamment développées pour permettre la transition au communisme. Sur le continent, ces forces sont encore insuffisamment développées, mais un prolétariat avancé sur le plan politique en France et sur le plan de la théorie en Allemagne peut ouvrir la voie à la révolution permanente à l’échelle de toute l’Europe. Par contre la vieille Sainte-Alliance contre-révolutionnaire entre la Russie, la Prusse et l’Autriche constitue encore un des principaux obstacles à la formation des nations modernes en Europe centrale et à la diffusion de la révolution. La Russie tsariste demeure le gendarme de l’Europe et par conséquent un véritable danger permanent qui pèse sur la révolution européenne.
1.4.3 En ce qui concerne l’aire slave après 1871, la révolution communiste y est possible, selon Marx, sans le passage par le développement du capitalisme si les révolutionnaires populistes effectuent une révolution avec l’appui de la paysannerie en renversant l’Etat despotique du tsarisme, et si cette révolution est complétée et unie à une révolution prolétarienne en Europe. Il s’effectuerait en quelque sorte un saut par-dessus le capitalisme[3]. Pour le marxisme authentique, le cours historique suivi par les peuples d’Europe occidentale ne s’applique pas nécessairement à tous les peuples et à toutes les aires du monde, contrairement à la caricature de marxisme fournie par le pseudo-marxisme russe auquel s’opposaient les populistes puis les versions tronquées par le marxisme « orthodoxe » de Kautsky et finalement par le stalinisme et ses différentes variantes. Par contre une telle perspective n’est pas certaine et si la révolution en Russie comme en Europe tarde trop, l’aire slave sera condamnée à passer par le capitalisme et ses souffrances. Car le capitalisme ne peut continuer à se développer sans s’étendre à toute la planète et possède sur les autres modes une supériorité certaine fondée sur un accroissement colossal des forces productives due au travail associé, au machinisme et à la grande industrie.
1.4.4 C’est vers la fin du 19° siècle que le capitalisme commence à se développer en Russie [4]comme Lénine le démontrera, et un parti ouvrier révolutionnaire s’y développe. Désormais, c’est une révolution double qui s’y prépare, à la fois bourgeoise et prolétarienne comme en Allemagne à la veille de 1848. Mais la bourgeoisie y est quasiment absente et encore moins révolutionnaire que la bourgeoisie allemande auparavant. C’est la paysannerie qui doit alors jouer le rôle de la bourgeoisie. Une paysannerie encore largement organisée sur la base de communautés de village en voie de dissolution et représentant l’immense majorité de la population. D’où la perspective défendue par Lénine d’une révolution en Russie devant instaurer une dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie, avant de déboucher sur une nouvelle révolution alliant prolétariat et paysannerie pauvre. Et cette perspective se réalisa plus rapidement encore que ne pouvait l’espérer Lénine lui-même entre Février et Octobre 1917.
1.4.5 Entre 1871 et 1914, l’expansionnisme tsariste est une constante. Si le prolétariat ne doit plus accorder de soutien à sa propre bourgeoisie dans l’aire européenne le parti ouvrier ne s’interdit pas de souhaiter la défaite d’un belligérant, lorsque le prolétariat ne peut intervenir dans le sens d’une transformation révolutionnaire de la situation. Dans tous les cas il doit analyser quelle sera l’issue la plus favorable à la guerre pour l’avenir de la révolution prolétarienne et tirer à l’avance toutes les conclusions possibles pour la prévision du cours historique et pour la stratégie à élaborer. Ceci est un point crucial que les activistes de tous bords n’ont jamais compris.
Dans les guerres qui engagent la Russie tsariste après 1871, le Parti souhaite toujours, pour les raisons stratégiques déjà énoncées, la défaite russe.
L’expansionnisme tsariste aboutit à une guerre entre la Turquie ottomane et la Russie en 1877/1878. Le marxisme prend parti pour la Turquie. Mais la Turquie perd cette guerre et Marx et Engels en analysent les causes et les conséquences. [5] En 1885 la Russie s’immisce dans la guerre Serbo-Bulgare. Il reviendra à Engels de dénoncer cette immixtion et la mystification contre-révolutionnaire du panslavisme agitée par l’Etat russe ainsi que le danger de guerre mondiale impérialiste[6].
Dès lors que le capitalisme se développe en Russie et qu’un parti ouvrier s’y constitue, la stratégie de ce parti ne peut être différente de celle des autres partis européens en ce qui concerne l’éventualité d’une guerre mondiale. Ce qui sera parfaitement clair au travers des congrès de la II° internationale qui verra s’affronter dans tous les partis nationaux les mêmes tendances révolutionnaires et opportunistes[7].
1.5 La première guerre mondiale impérialiste, la révolution russe et la question des nationalités dans l’aire slave.
1.5.1 Avec l’éclatement de la 1° guerre mondiale en 1914 se vérifient pleinement les prévisions du marxisme et seuls les révolutionnaires qui sont restés fidèles à ses enseignements prônent l’internationalisme et le défaitisme révolutionnaire. La question de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile oppose toutefois différents courants de la gauche marxiste au sein de la II° Internationale. Par exemple Trotski défend plutôt l’internationalisme prolétarien afin d’aboutir à la paix quand Lénine appui le défaitisme dans l’objectif d’une transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. A contrario les courants opportunistes se joignent à leur bourgeoisie, trahissent la classe ouvrière, entraînent la II° Internationale dans la dégénérescence en tant que parti ouvrier et la faillite complète face à la guerre.
1.5.2 La Russie sera le premier maillon de la chaîne impérialiste à craquer et la révolution y ouvre la possibilité de la libération nationale de toutes les nationalités opprimées sous l’Empire des tsars en même temps que celle d’une trans-croissance révolutionnaire de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne et inaugure l’ouverture d’un cycle révolutionnaire mondial.
1.5.2. Dans les aires colonisées s’ouvre alors la possibilité d’une alliance avec les peuples colonisés en lutte contre l’impérialisme colonialiste et celle d’un passage rapide au communisme sans passer par le plein capitalisme, comme dans la perspective de Marx pour la Russie. Cette stratégie est défendue par l’Internationale communiste au Congrès de Bakou en septembre 1920.
1.5.3 Entre 1917 et 1926, la question des nationalités dans l’ancien empire tsariste se pose au travers de la lutte entre révolution et contre-révolution. En Pologne elle se résout à l’avantage de la bourgeoisie nationaliste. Mais en ce qui concerne l’Ukraine la situation est plus complexe. Contrairement à la Pologne qui eut un passé national avant d’être divisée entre les Empires russe, prussien et autrichien, l’Ukraine proprement dite n’a pas eu d’histoire nationale antérieure, les Ukrainiens ayant été ballotés et divisés depuis les débuts du peuplement Slave en Europe au cours des différentes invasions barbares entre les Huns puis les Avars, les Normands puis les Mongols et les Turcs, les Polonais, les Lithuaniens, les Russes, les Hongrois, les Bulgares et les Autrichiens, etc. Mais au cours du 19° siècle, un sentiment national ukrainien s’est développé sous la domination de la Russie tsariste. Il en est de même dans une certaine mesure des Biélorusses.
Une première organisation nationaliste bourgeoise ukrainienne apparaît en avril 1917 : la Rada centrale. Celle-ci ne s’oppose pas au gouvernement provisoire de Russie mais réclame l’autonomie avec la promulgation de l’ « Acte universel » sur l’organisation de l’Ukraine.
Les positions de Lénine sont constantes et cohérentes sur la question nationale. Entre février et octobre 1917 il dénoncera la politique du Gouvernement provisoire bourgeois soutenu par les Menchéviks et les Socialistes-Révolutionnaires sur les nationalités dans l’ancien Empire Russe. Au sujet de l’Ukraine il va plus loin dans la revendication nationale que la Rada bourgeoise timorée qui se contente de revendiquer la reconnaissance par le gouvernement provisoire de la possibilité pour les Ukrainiens d’une simple autonomie :
« Il réclame l’autonomie, sans nier le moins du monde la nécessité et l’autorité supérieure d’un « parlement de toute la Russie ». Pas un démocrate, pour ne rien dire d’un socialiste, n’osera contester l’entière légitimité des revendications ukrainiennes. Pas un démocrate, de même, ne peut nier le droit de l’Ukraine à se séparer librement de la Russie : c’est précisément la reconnaissance sans réserve de ce droit, et elle seule, qui permet de mener une campagne en faveur de la libre union des Ukrainiens et des Grands-Russes, de l’union volontaire des deux peuples en un seul Etat. Seule la reconnaissance sans réserve peut rompre effectivement, à jamais et complètement, avec le maudit passé tsariste qui a tout fait pour rendre étrangers les uns aux autres des peuples si proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et leur histoire. Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien, entretenant systématiquement chez ce dernier la haine de ceux qui allaient jusqu’à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de faire leurs études dans cette langue. » (Lénine : « L’Ukraine » p90/91 t.25 Œuvres complètes)
Après 1922, l’Ukraine devient une république de L’URSS.
1.5.4 La contre-révolution qui triomphe dans le monde et en Russie avec le stalinisme ramène les objectifs de la révolution russe au développement du capitalisme national dans toutes les parties de l’URSS mais de manière inégale au profit du capital russe.
En Chine, la révolution de 1911 renverse le pouvoir despotique de l’empereur et instaure une république. Un parti communiste se constitue et la perspective est alors socialement proche de celle de la Russie, avec des caractères propres et une situation complexe de semi-colonie et de conflits armés entre seigneurs de guerre issus de l’ancien régime. La stratégie d’appui aux nationalistes bourgeois du Kouo-Min-Tang par l’Internationale communiste stalinisée au détriment d’une stratégie de lutte autonome du parti communiste chinois entraînera l’échec de la révolution et l’écrasement du prolétariat (Canton, Shangaï 1927/1928). La Révolution Chinoise se replie sur une base essentiellement paysanne bourgeoise, dirigée par le parti national communiste de Mao après la seconde guerre mondiale.
Avec la victoire de la contre-révolution, d’abord en Allemagne, en Autriche et en Hongrie, puis internationalement, la révolution russe se replie donc sur des tâches purement bourgeoises avec développement du capitalisme sous la forme mystificatrice du « socialisme » soviétique dans l’aire slave et extension de celui-ci en Asie.
1.5.5 La gauche communiste d’Italie en tire les conclusions dès la guerre d’Espagne en 1936, qui est un laboratoire de la future guerre mondiale, que les prolétaires ne doivent plus défendre l’Etat soviétique, contrairement à l’opposition trotskiste qui appellera à appuyer celui-ci durant la 2° guerre mondiale, comme elle a soutenu activement le camp républicain dans la guerre d’Espagne. C’est donc le défaitisme révolutionnaire qui s’applique également désormais pour toute l’aire slave qui passe sous domination capitaliste et impérialiste.
L’URSS, après avoir soutenu le camp républicain contre les franquistes soutenus par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, passera un pacte avec cette même Allemagne en 1939, avec laquelle elle se partagera la Pologne une nouvelle fois, avant de s’allier dans un revirement à 180° avec les EU dès 1942.
L’appui à un camp contre un autre au cours de la 2° guerre mondiale sera donc une réédition de la trahison du 4 aout 1914. La gauche condamnera également toute participation aux blocs de partisans dans cette guerre pour les mêmes raisons.
1.6 Les guerres anticoloniales.
1.6.1 Après la guerre en 1945 s’ouvre une période de renforcement du capitalisme à l’échelle mondiale ; mais une vague révolutionnaire anticoloniale vient la fragiliser. La position marxiste est de revendiquer l’appui à ces mouvements qui même s’ils demeurent sur des positions nationalistes bourgeoises du fait du contexte mondial d’écrasement du prolétariat, et de trahison de ses organisations, constituent un progrès certain et contiennent un potentiel de trans-croissance prolétarienne. Les secousses liées à ces révolutions peuvent rouvrir le front révolutionnaire prolétarien si elles se conjuguent avec le retour des crises dans les métropoles impérialistes. La position est, comme celle de Marx vis-à-vis des mouvements nationaux en Europe avant 1871, également celle d’une critique sans concession vis-vis des directions bourgeoises et petites bourgeoises des mouvements anticoloniaux. Cette période connaîtra plusieurs phases mais se terminera globalement avec la chute des dernières colonies portugaises en Afrique vers le milieu des années 70 du siècle passé, sans qu’elle n’ait débouché sur une trans croissance prolétarienne ni sur une reprise historique de la lutte révolutionnaire dans les métropoles colonialistes et impérialistes.
1.6.2 Si le capitalisme ne se développe pas pleinement dans les anciennes colonies, et si de nombreuses petites nations sont encore exploitées et opprimées par les grandes puissances impérialistes, toutes sont désormais capitalistes même si la bourgeoisie n’y domine pas politiquement en tant que classe. Il existe encore par ailleurs un certain nombre de cas où la question nationale est toujours pendante. Cela ne signifie pas que les revendications nationales sont désormais partout obsolètes ou qu’au contraire elles soient à l’ordre du jour, mais que, pour les prolétaires, leur défense ne passe pas par la guerre aux côtés de leur bourgeoisie et que leur solution ne passe pas par la guerre, mais par la révolution.
Au sujet de la question d’Orient Marx écrivait :
« Le problème turc, lié à beaucoup d’autres, ne peut être résolu que par une révolution européenne. »
Trotski qui faisait cette citation ajoutait :
« Cette affirmation conserve encore toute sa force de nos jours. Pour que la révolution puisse résoudre tous les problèmes accumulés au cours du siècle dernier, il faut que le prolétariat international possède son programme de solution sur la question autrichienne. »
(« La guerre et l’Internationale » p.68 de « La guerre et la révolution » édition de la Tête de feuille)
Aujourd’hui les différentes questions nationales qui demeurent ouvertes et que la contre-révolution a énormément complexifié ne pourront trouver de solution qu’au travers d’une révolution non plus européenne mais mondiale. Et le prolétariat devra bien comme le soulignait Trotski avoir au préalable un programme sur ces questions. Il ne sert à rien d’en nier l’existence au nom de l’internationalisme prolétarien.
1.7 La fin de la Sainte Alliance russo-américaine et la suprématie américaine.
1.7.1 Après 1989, avec la chute du mur de Berlin et la dissolution du bloc de l’Est et de l’URSS, la question nationale est revenue comme un boomerang sur la scène de l’histoire. Elle fut le point d’orgue d’un renforcement de la contre-révolution qui s’était amorcé au début des années 80. D’une certaine manière toutes les questions qui avaient mené à la première guerre mondiale ont alors ressurgit sous une autre forme. Le renforcement de la contre-révolution s’est tout d’abord traduit par le renforcement de l’hégémonie allemande en Europe puis par celui de l’hégémonie des EU sur le monde. On eut alors un recul important de la Russie qui s’est enfoncée dans une terrible crise globale pendant près d’une décennie, alors que la Chine entamait une marche accélérée au développement de son capitalisme. La perspective d’une troisième guerre mondiale s’est alors momentanément éloignée, mais les guerres locales se sont multipliées autour des questions nationales, comme dans l’ex-URSS et l’ex-Yougoslavie, puis au Proche et au Moyen-Orient.
1.7.2 La recomposition de blocs impérialistes depuis le retour de la Russie en 2008 (guerre en Géorgie puis en Syrie) après les guerres tous azimuts dirigées par les EU et l’OTAN, et la montée en puissance de la Chine, réactualise sur fond de crises mondiales de plus en plus catastrophiques la terrible perspective d’une possible troisième guerre mondiale que le développement du capitalisme porte inexorablement en lui.
Avec la « révolution » de la place Maïden à Kiev en 2014, l’avancée de la puissance impérialiste américaine jusqu’aux limites de la Russie historique au-delà du Dniepr, suscite la contre-offensive préventive russe et la guerre en Ukraine. Cette dernière guerre constitue le point d’aboutissement de la troisième agression à l’Europe de la part des EU d’Amérique, et un jalon vers une troisième guerre mondiale dont l’axe principal se situe dans la zone indopacifique et oppose essentiellement les EU et la Chine.
1.8 Conclusion provisoire.
La stratégie du prolétariat mondial face à la guerre doit donc être réaffirmée en tenant compte de tous ces éléments. En l’absence de réaction de classe significative face aux différents conflits impérialistes qui instrumentalisent les petites nations et les mouvements nationalistes de populations opprimées et exploitées, on doit au minimum défendre les principes révolutionnaires de l’internationalisme et du défaitisme, de la guerre à la guerre et de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Mais on ne peut pas se contenter de cela. Il faut :
1/ analyser et dévoiler les machinations impérialistes et les plans secrets de nos propres bourgeoisies.
2/prendre en compte les aspirations nationales de ces populations et nations et élaborer un programme révolutionnaire prolétarien à leur sujet.
3/décortiquer et démystifier les sophismes des différentes bourgeoisies pour justifier les sacrifices et l’engagement de leur prolétariat dans leur guerre.
4/ En l’absence d’intervention révolutionnaire du prolétariat, déterminer quelle serait l’issue la plus avantageuse des conflits pour la révolution future et la recomposition de la classe révolutionnaire et anticiper ainsi au mieux les possibilités à venir.
5/ Définir sur la base de ces analyses les actions pratiques qu’une organisation formelle du parti révolutionnaire devra mener.
Nous consacrerons la suite de ce travail à développer au mieux ces grandes lignes en rapport avec les évènements historiques passés et présents.
Il serait également souhaitable que les maigres forces du milieu révolutionnaire actuel se concertent dans une telle perspective afin de permettre une élaboration de la politique communiste face à la guerre et une meilleure diffusion de ses positions.
[1] Voir « Marx/Engels et la guerre » RIMC n°8 et de nombreux articles des « Fili del tempo » d’A.BORDIGA.
[2] Ce sujet avait été abordé pour la question d’Orient par CouC dans un exposé inédit que nous devrions publier prochainement en rapport avec la question nationale.
[3] Voir la lettre de Marx à Zassoulitch.
[4] Voir « Le développement du capitalisme en Russie »
[5] Voir RIMC n°12/13 p.42 à 50.
[6] Idem p.50 à 53
[7] Voir RIMC n°12/13 « La seconde internationale suite. »
modifier.
LA SYRIE
LA SYRIE I
En parcourant les quelques articles du milieu révolutionnaire prolétarien consacrés à la tragédie qui se déroule en Syrie on est frappé par le sentiment d’impuissance de ce même milieu. Son incapacité congénitale à parler d’une même voix et à se faire entendre est malheureusement patente et récurrente. Mais ce n’est pas la seule faiblesse de ce milieu, loin s’en faut.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir lu tout ce que le milieu a pu écrire sur la Syrie depuis le début des évènements marquants dans ce pays en Mars 2011, mais la rareté des expressions sur ces évènements rejoint aussi l’indigence des analyses. Certaines tournent le dos au marxisme et tendent à abandonner les principes fondamentaux du mouvement communiste et a glisser sur le terrain de l’adversaire.
C’est le cas d’un article de Révolution Internationale:
« Syrie: guerre impérialiste ou solidarité de classe » (Révolution Internationale / Septembre 2013)
Si l’on fait abstraction des habituelles litanies au sujet de la décadence, de la décomposition et du chaos, qui servent de cadre d’analyse à ce courant, et de passe partout, ainsi que de l’appel de principe au prolétariat mondial, entité parfaitement inexistante à l’heure actuelle, que nous apprend cet article?
Tout d’abord ce que tout le monde sait et que même la presse bourgeoise la plus vile rappelle dans ses torchons crasseux: les armes chimiques existent depuis la 1° guerre mondiale, et n’ont jamais cessé d’être produites, perfectionnées, vendues et utilisées, y compris par ceux qui signent des traités et conventions contre elles.
Ensuite l’auteur promet de nous révéler « quelles sont les véritables causes du conflit en Syrie ». Mais il n’en fait rien, et à aucun moment ne cherche à le faire.
D’ailleurs les arguments guerriers des impérialismes français et américains qu’on se doit de combattre # ne se rattachent pas à une quelconque explication des causes du conflit, mais aux moyens d’empêcher Bachar Al Assad d’utiliser les armes chimiques en sa possession, et de dissuader l’Iran de poursuivre son programme nucléaire. Que ces arguments ne soient que sophismes grossiers cachant mal leurs desseins impérialistes est une autre affaire qu’il serait intéressant de développer par ailleurs. Et c’est entre autre ce qu’on était en droit d’attendre au minimum d’un tel article.
Mais en réalité cet article ne nous apprend rien du tout. Sa seule raison d’être étant de ressasser la ligne du courant en cherchant à en prouver la prétendue validité dans l’actualité.
Or cette ligne aboutit à des affirmations on ne peut plus naïves et dangereuses :
« Depuis l’effondrement de l’URSS il n’y a plus de blocs, plus de risques d’une troisième guerre mondiale généralisée. »
Et en cela il chante la même berceuse aux prolétaires que les impérialistes eux-mêmes. Propagande soporifique.
Les guerres que les bourgeoisies impérialistes mènent un peu partout dans le monde viseraient justement, à les en croire, à éviter la prolifération des armes de destruction massive qu’ils possèdent eux-mêmes en quantités hallucinantes et en qualité nécessairement considérablement supérieure à tous les Etats qui cherchent à s’en doter, et par conséquent à éviter une troisième guerre mondiale. A chaque guerre on brandit l’image d’un nouvel Hitler qu‘il faut écraser avant qu‘il ne soit trop tard: Saddam Hussein, Kadhafi, Bachar Al Assad. Mais tout cela cache mal les intérêts proprement impérialistes qui les motivent. Au premier rang desquels le maintien de l’ordre capitaliste dans le monde entier et le renforcement de leur nation sur le marché mondial.
Le soutien indéfectible à certains régimes théocratiques, dictatoriaux, voire mafieux, par les Etats-Unis (Israël, Arabie Saoudite, Afghanistan ...) comme par la Russie et la Chine ( Syrie, Iran, Corée du Nord …) ou la France ( Maroc, Qatar, Emirats Arabes Unis…), rend caduque les mélopées de ces bourgeoisies sur l’air des libertés démocratiques, qu’elles ne respectent même pas sur leur propre territoire national. D’ailleurs, le peu de cas porté, même si officiellement on a assisté aux gémissements ridicules de Fabius et aux sermons d’ Obama, entrant en contradiction pour l’occasion avec Kerry, à la violente et sanglante reprise en main parfaitement antidémocratique du pouvoir par l’armée en Egypte dissimule mal l’appui effectif apporté par tous les bons samaritains de l’impérialisme aux généraux égyptiens (ceux-ci auront été privés de dessert: manœuvres militaires conjointes avec les USA), après avoir joué la carte des Frères Musulmans contre la révolution. Le précédent algérien avait déjà donné le ton il y a quelques décennies en matière de défense des droits démocratiques. Ce qui alimenta tout particulièrement le terrorisme des courants islamistes radicaux à l’échelle internationale.
Un autre sophisme guerrier des impérialismes invoque la lutte contre le terrorisme. Mais si le terrorisme, principalement islamiste, constitue une menace pour les puissances impérialistes, c’est qu’il vise à renverser les régimes qu’elles soutiennent en fonction des mêmes intérêts. Toutefois elles ne dédaignent pas de l’utiliser contre les Etats qui coopèrent avec les impérialismes concurrents. Ce fut le cas en Afghanistan (notamment avec les Talibans et Ben Laden lui-même), ce fut aussi le cas au Caucase, en Lybie et actuellement en Syrie, pour ce qui est des impérialismes occidentaux, et de l’axe franco-anglo-américain. Mais les impérialismes Russe et Chinois, voire l’impérialisme naissant en Inde et au Pakistan, ne sont pas en reste (Cachemire, Népal, Tibet, Caucase, Indochine, Sri Lanka, Indonésie…).
Au lieu d’apercevoir la recomposition inéluctable des alliances impérialistes et la dynamique inexorable du MPC qui tend vers le conflit généralisé, RI voit tout le contraire:
« Seulement la discipline de bloc aussi a volé en éclats. Chaque nation joue depuis sa propre carte, les alliances impérialistes sont de plus en plus éphémères et de circonstance… ainsi les conflits se multiplient sans qu’aucune bourgeoisie ne puisse plus rien contrôler. C’est le chaos, la décomposition grandissante de la société. »
Comme si dans les alliances qui ont provoqué la première guerre mondiale chacun n’avait pas « joué sa propre carte »! Comme si dans les nouvelles alliances qui se sont nouées pour la deuxième il n’y avait pas eu un grand jeu, un double et triple jeu de la part de chaque nation concurrente! Quelle pitoyable innocence! Comme si les Etats-Unis n’avaient pas agressés leurs propres alliés européens, comme si l’URSS n’avait pas pactisé avec l’Allemagne hitlérienne avant de passer un accord avec les Etats-Unis, et le rompre dès qu’il lui fut possible. Comme si dans les deux blocs d’après guerre il n’y avait pas une guerre permanente entre membres d’un même bloc, et comme s’il n’y avait pas eu de non-alignés, etc. Et pourtant, c’est bien à cette époque des blocs que le danger d’un troisième conflit s’était en réalité le plus éloigné.
On ne peut pourtant pas dire non plus que l’alliance entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis soit vraiment éphémère et de circonstance depuis 2001! La France est aux côtés de l’Angleterre et des Etats-Unis en Afghanistan (2002), en Irak (2003), en Lybie (2011), au Mali (2012), en Syrie (2013). On l’entend hurler au loup avec ses acolytes contre l’Iran, comme contre Bachar Al Assad.
Depuis la fin des années 90 la bourgeoisie française a opéré un tournant en politique extérieure. Avec le retour des socialistes au pouvoir et la cohabitation Jospin/Chirac, la politique atlantiste fut ravivée. De même que ce dernier opéra un rapprochement avec Israël au détriment des palestiniens. Encore une fois la politique extérieure de la bourgeoisie française a favorisé le développement du terrorisme islamiste, en l’occurrence celui du Hamas en Palestine, comme elle avait attisé celui du GIA en Algérie. On doit d’ailleurs considérer pareillement la responsabilité de cette bourgeoisie néocoloniale dans les affaires intérieures au Liban via la fraction chrétienne.
L’acharnement de celle-ci à vouloir intervenir militairement dans cette région contre vents et marée trouve sa raison d’être réelle dans sa tentative de retrouver une influence prépondérante dans ce qui fut ses anciennes colonies après le Traité de Sèvres en 1920. Le recul de son influence au Liban, surtout avec la montée en puissance du Hezbollah allié à la Syrie, est un des motifs du revirement de la politique extérieure de la bourgeoisie française au proche orient à la fin des années 90.
Cette politique extérieure qui vit se resserrer les liens diplomatiques et militaires entre la France et les Etats-Unis fut confirmée par le retour de la droite au pouvoir avec l’appui de toutes les forces de gauche… sous la présidence de Chirac. Elle fut même consolidée sous Sarkozy malgré certaines frictions apparentes et trouve son couronnement avec Hollande et la gauche au pouvoir.
Néanmoins une alliance impérialiste n’opère pas seulement sur le plan de la diplomatie, elle trouve son point d’orgue dans une alliance militaire et son opérationnalité sur le terrain des conflits. Or c’est bien ce qui se réalise au travers des conflits successifs en Lybie, au Mali et en perspective en Syrie, même si un certain recul momentané des préparatifs militaires semblent officiellement avérés. L’efficacité du dispositif militaire entre les trois puissances a été rodé pour ainsi dire au cours des guerres d’occupation en Afghanistan et en Irak. Mais il a été véritablement opérationnel avec la guerre en Lybie, puis au Mali.
Mais l’apothéose de cet article réside dans l’idée que l’opinion publique a fait reculer la bourgeoisie anglaise au… parlement! Comble du crétinisme parlementaire. Le CCI a oublié que le parlement ne reflète pas l’opinion publique mais le point de vue dominant dans la bourgeoisie elle-même, et que celui-ci modèle à son tour l’opinion publique (la bourgeoisie détenant tous les médias et tous les moyens de propagande). Opinion publique matière plastique disait BORDIGA!
Et le CCI emboîte le pas à la presse bourgeoise. Après avoir anesthésié les prolétaires avec la chansonnette sur l’impossibilité d’une nouvelle guerre mondiale, le CCI finit de l’endormir avec la berceuse sur la démocratie et l’opinion publique.
La même magie de la démocratie agirait aux Etats-Unis. Mais en réalité, et contrairement à ce qui est affirmé aussi dans un article paru dans Le Monde le 26/09/2013, ce n’est pas l’opinion publique qui a freiné les ardeurs de la bourgeoisie américaine, mais, derrière les menaces militaires, un calcul diplomatique et le danger évident d’une escalade incontrôlable non seulement au plan régional, mais encore au plan mondial.
Sur le plan intérieur à la Syrie les progrès constants des groupes islamistes armés et notamment ceux qui sont directement liés à Al Qaïda vient de s’illustrer par une rupture de plus d’une dizaine de ces groupes parmi les plus efficaces militairement, à commencer par l’Armée syrienne libre elle-même d’avec la Coalition nationale syrienne, seule interlocutrice des impérialistes occidentaux. Par conséquent, une intervention sans troupes au sol est beaucoup trop risquée quand à savoir qui s’emparera du pouvoir quand le dictateur de Damas sera éliminé par les missiles.
Ce n’est pas que ces troupes ne pourraient pas intervenir, car elles sont pré-positionnées en Jordanie et certainement aussi en Israël et en Turquie, Le Figaro ayant révélé qu’en Jordanie stationnaient non seulement les forces spéciales, mais encore 2 compagnies de combat et un détachement du 13° régiment de Dragons parachutistes. Une autre information du Figaro relatait que l’armée syrienne aurait utilisé l’arme chimique en Aout suite à la pénétration des forces spéciales en Syrie. En somme il s’agissait d’un avertissement. Quoiqu’il en fut réellement, et il y a de forte chance pour que nous ne le sachions jamais, on comprend mieux la fameuse ligne rouge des EU…
Au plan mondial, les autres impérialismes, au premier rang desquels l’impérialisme russe, principal soutient de l’Etat syrien, sont résolument opposés à toute intervention militaire adverse. Or non seulement la Russie possède une base militaire en Syrie, dans le port de Tartous, et il s’agit de la seule base russe en Méditerranée, mais encore elle est en train de déployer des navires de guerre un peu partout. Il en est de même, dans une moindre mesure, de la Chine.
La plupart des puissances émergentes y sont aussi opposées. Non seulement l’axe franco-anglo-américain se trouve entravé au niveau de l’ONU, mais encore il peine à réunir une coalition de pays à même de le soutenir en cas de dérapage. Au contraire il voit se dessiner une alliance adverse qui trouve un appui relativement important dans ces puissances émergentes.
C’est pour toutes ces raisons que l’axe occidental a reculé en bon ordre et a fait mine d’avoir fait avancer les choses sur le plan diplomatique. Et certainement pas par respect de l’opinion publique et de la démocratie. Il en faudra beaucoup plus pour faire reculer l’impérialisme, à commencer par un petit peu plus de rigueur marxiste (défaitisme et internationalisme ) et d’unité dans la propagande du milieu révolutionnaire dans les pays des camps qui se dessinent. Mais surtout une véritable mobilisation prolétarienne de classe contre la bourgeoisie.
En parcourant les quelques articles du milieu révolutionnaire prolétarien consacrés à la tragédie qui se déroule en Syrie on est frappé par le sentiment d’impuissance de ce même milieu. Son incapacité congénitale à parler d’une même voix et à se faire entendre est malheureusement patente et récurrente. Mais ce n’est pas la seule faiblesse de ce milieu, loin s’en faut.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir lu tout ce que le milieu a pu écrire sur la Syrie depuis le début des évènements marquants dans ce pays en Mars 2011, mais la rareté des expressions sur ces évènements rejoint aussi l’indigence des analyses. Certaines tournent le dos au marxisme et tendent à abandonner les principes fondamentaux du mouvement communiste et a glisser sur le terrain de l’adversaire.
C’est le cas d’un article de Révolution Internationale:
« Syrie: guerre impérialiste ou solidarité de classe » (Révolution Internationale / Septembre 2013)
Si l’on fait abstraction des habituelles litanies au sujet de la décadence, de la décomposition et du chaos, qui servent de cadre d’analyse à ce courant, et de passe partout, ainsi que de l’appel de principe au prolétariat mondial, entité parfaitement inexistante à l’heure actuelle, que nous apprend cet article?
Tout d’abord ce que tout le monde sait et que même la presse bourgeoise la plus vile rappelle dans ses torchons crasseux: les armes chimiques existent depuis la 1° guerre mondiale, et n’ont jamais cessé d’être produites, perfectionnées, vendues et utilisées, y compris par ceux qui signent des traités et conventions contre elles.
Ensuite l’auteur promet de nous révéler « quelles sont les véritables causes du conflit en Syrie ». Mais il n’en fait rien, et à aucun moment ne cherche à le faire.
D’ailleurs les arguments guerriers des impérialismes français et américains qu’on se doit de combattre # ne se rattachent pas à une quelconque explication des causes du conflit, mais aux moyens d’empêcher Bachar Al Assad d’utiliser les armes chimiques en sa possession, et de dissuader l’Iran de poursuivre son programme nucléaire. Que ces arguments ne soient que sophismes grossiers cachant mal leurs desseins impérialistes est une autre affaire qu’il serait intéressant de développer par ailleurs. Et c’est entre autre ce qu’on était en droit d’attendre au minimum d’un tel article.
Mais en réalité cet article ne nous apprend rien du tout. Sa seule raison d’être étant de ressasser la ligne du courant en cherchant à en prouver la prétendue validité dans l’actualité.
Or cette ligne aboutit à des affirmations on ne peut plus naïves et dangereuses :
« Depuis l’effondrement de l’URSS il n’y a plus de blocs, plus de risques d’une troisième guerre mondiale généralisée. »
Et en cela il chante la même berceuse aux prolétaires que les impérialistes eux-mêmes. Propagande soporifique.
Les guerres que les bourgeoisies impérialistes mènent un peu partout dans le monde viseraient justement, à les en croire, à éviter la prolifération des armes de destruction massive qu’ils possèdent eux-mêmes en quantités hallucinantes et en qualité nécessairement considérablement supérieure à tous les Etats qui cherchent à s’en doter, et par conséquent à éviter une troisième guerre mondiale. A chaque guerre on brandit l’image d’un nouvel Hitler qu‘il faut écraser avant qu‘il ne soit trop tard: Saddam Hussein, Kadhafi, Bachar Al Assad. Mais tout cela cache mal les intérêts proprement impérialistes qui les motivent. Au premier rang desquels le maintien de l’ordre capitaliste dans le monde entier et le renforcement de leur nation sur le marché mondial.
Le soutien indéfectible à certains régimes théocratiques, dictatoriaux, voire mafieux, par les Etats-Unis (Israël, Arabie Saoudite, Afghanistan ...) comme par la Russie et la Chine ( Syrie, Iran, Corée du Nord …) ou la France ( Maroc, Qatar, Emirats Arabes Unis…), rend caduque les mélopées de ces bourgeoisies sur l’air des libertés démocratiques, qu’elles ne respectent même pas sur leur propre territoire national. D’ailleurs, le peu de cas porté, même si officiellement on a assisté aux gémissements ridicules de Fabius et aux sermons d’ Obama, entrant en contradiction pour l’occasion avec Kerry, à la violente et sanglante reprise en main parfaitement antidémocratique du pouvoir par l’armée en Egypte dissimule mal l’appui effectif apporté par tous les bons samaritains de l’impérialisme aux généraux égyptiens (ceux-ci auront été privés de dessert: manœuvres militaires conjointes avec les USA), après avoir joué la carte des Frères Musulmans contre la révolution. Le précédent algérien avait déjà donné le ton il y a quelques décennies en matière de défense des droits démocratiques. Ce qui alimenta tout particulièrement le terrorisme des courants islamistes radicaux à l’échelle internationale.
Un autre sophisme guerrier des impérialismes invoque la lutte contre le terrorisme. Mais si le terrorisme, principalement islamiste, constitue une menace pour les puissances impérialistes, c’est qu’il vise à renverser les régimes qu’elles soutiennent en fonction des mêmes intérêts. Toutefois elles ne dédaignent pas de l’utiliser contre les Etats qui coopèrent avec les impérialismes concurrents. Ce fut le cas en Afghanistan (notamment avec les Talibans et Ben Laden lui-même), ce fut aussi le cas au Caucase, en Lybie et actuellement en Syrie, pour ce qui est des impérialismes occidentaux, et de l’axe franco-anglo-américain. Mais les impérialismes Russe et Chinois, voire l’impérialisme naissant en Inde et au Pakistan, ne sont pas en reste (Cachemire, Népal, Tibet, Caucase, Indochine, Sri Lanka, Indonésie…).
Au lieu d’apercevoir la recomposition inéluctable des alliances impérialistes et la dynamique inexorable du MPC qui tend vers le conflit généralisé, RI voit tout le contraire:
« Seulement la discipline de bloc aussi a volé en éclats. Chaque nation joue depuis sa propre carte, les alliances impérialistes sont de plus en plus éphémères et de circonstance… ainsi les conflits se multiplient sans qu’aucune bourgeoisie ne puisse plus rien contrôler. C’est le chaos, la décomposition grandissante de la société. »
Comme si dans les alliances qui ont provoqué la première guerre mondiale chacun n’avait pas « joué sa propre carte »! Comme si dans les nouvelles alliances qui se sont nouées pour la deuxième il n’y avait pas eu un grand jeu, un double et triple jeu de la part de chaque nation concurrente! Quelle pitoyable innocence! Comme si les Etats-Unis n’avaient pas agressés leurs propres alliés européens, comme si l’URSS n’avait pas pactisé avec l’Allemagne hitlérienne avant de passer un accord avec les Etats-Unis, et le rompre dès qu’il lui fut possible. Comme si dans les deux blocs d’après guerre il n’y avait pas une guerre permanente entre membres d’un même bloc, et comme s’il n’y avait pas eu de non-alignés, etc. Et pourtant, c’est bien à cette époque des blocs que le danger d’un troisième conflit s’était en réalité le plus éloigné.
On ne peut pourtant pas dire non plus que l’alliance entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis soit vraiment éphémère et de circonstance depuis 2001! La France est aux côtés de l’Angleterre et des Etats-Unis en Afghanistan (2002), en Irak (2003), en Lybie (2011), au Mali (2012), en Syrie (2013). On l’entend hurler au loup avec ses acolytes contre l’Iran, comme contre Bachar Al Assad.
Depuis la fin des années 90 la bourgeoisie française a opéré un tournant en politique extérieure. Avec le retour des socialistes au pouvoir et la cohabitation Jospin/Chirac, la politique atlantiste fut ravivée. De même que ce dernier opéra un rapprochement avec Israël au détriment des palestiniens. Encore une fois la politique extérieure de la bourgeoisie française a favorisé le développement du terrorisme islamiste, en l’occurrence celui du Hamas en Palestine, comme elle avait attisé celui du GIA en Algérie. On doit d’ailleurs considérer pareillement la responsabilité de cette bourgeoisie néocoloniale dans les affaires intérieures au Liban via la fraction chrétienne.
L’acharnement de celle-ci à vouloir intervenir militairement dans cette région contre vents et marée trouve sa raison d’être réelle dans sa tentative de retrouver une influence prépondérante dans ce qui fut ses anciennes colonies après le Traité de Sèvres en 1920. Le recul de son influence au Liban, surtout avec la montée en puissance du Hezbollah allié à la Syrie, est un des motifs du revirement de la politique extérieure de la bourgeoisie française au proche orient à la fin des années 90.
Cette politique extérieure qui vit se resserrer les liens diplomatiques et militaires entre la France et les Etats-Unis fut confirmée par le retour de la droite au pouvoir avec l’appui de toutes les forces de gauche… sous la présidence de Chirac. Elle fut même consolidée sous Sarkozy malgré certaines frictions apparentes et trouve son couronnement avec Hollande et la gauche au pouvoir.
Néanmoins une alliance impérialiste n’opère pas seulement sur le plan de la diplomatie, elle trouve son point d’orgue dans une alliance militaire et son opérationnalité sur le terrain des conflits. Or c’est bien ce qui se réalise au travers des conflits successifs en Lybie, au Mali et en perspective en Syrie, même si un certain recul momentané des préparatifs militaires semblent officiellement avérés. L’efficacité du dispositif militaire entre les trois puissances a été rodé pour ainsi dire au cours des guerres d’occupation en Afghanistan et en Irak. Mais il a été véritablement opérationnel avec la guerre en Lybie, puis au Mali.
Mais l’apothéose de cet article réside dans l’idée que l’opinion publique a fait reculer la bourgeoisie anglaise au… parlement! Comble du crétinisme parlementaire. Le CCI a oublié que le parlement ne reflète pas l’opinion publique mais le point de vue dominant dans la bourgeoisie elle-même, et que celui-ci modèle à son tour l’opinion publique (la bourgeoisie détenant tous les médias et tous les moyens de propagande). Opinion publique matière plastique disait BORDIGA!
Et le CCI emboîte le pas à la presse bourgeoise. Après avoir anesthésié les prolétaires avec la chansonnette sur l’impossibilité d’une nouvelle guerre mondiale, le CCI finit de l’endormir avec la berceuse sur la démocratie et l’opinion publique.
La même magie de la démocratie agirait aux Etats-Unis. Mais en réalité, et contrairement à ce qui est affirmé aussi dans un article paru dans Le Monde le 26/09/2013, ce n’est pas l’opinion publique qui a freiné les ardeurs de la bourgeoisie américaine, mais, derrière les menaces militaires, un calcul diplomatique et le danger évident d’une escalade incontrôlable non seulement au plan régional, mais encore au plan mondial.
Sur le plan intérieur à la Syrie les progrès constants des groupes islamistes armés et notamment ceux qui sont directement liés à Al Qaïda vient de s’illustrer par une rupture de plus d’une dizaine de ces groupes parmi les plus efficaces militairement, à commencer par l’Armée syrienne libre elle-même d’avec la Coalition nationale syrienne, seule interlocutrice des impérialistes occidentaux. Par conséquent, une intervention sans troupes au sol est beaucoup trop risquée quand à savoir qui s’emparera du pouvoir quand le dictateur de Damas sera éliminé par les missiles.
Ce n’est pas que ces troupes ne pourraient pas intervenir, car elles sont pré-positionnées en Jordanie et certainement aussi en Israël et en Turquie, Le Figaro ayant révélé qu’en Jordanie stationnaient non seulement les forces spéciales, mais encore 2 compagnies de combat et un détachement du 13° régiment de Dragons parachutistes. Une autre information du Figaro relatait que l’armée syrienne aurait utilisé l’arme chimique en Aout suite à la pénétration des forces spéciales en Syrie. En somme il s’agissait d’un avertissement. Quoiqu’il en fut réellement, et il y a de forte chance pour que nous ne le sachions jamais, on comprend mieux la fameuse ligne rouge des EU…
Au plan mondial, les autres impérialismes, au premier rang desquels l’impérialisme russe, principal soutient de l’Etat syrien, sont résolument opposés à toute intervention militaire adverse. Or non seulement la Russie possède une base militaire en Syrie, dans le port de Tartous, et il s’agit de la seule base russe en Méditerranée, mais encore elle est en train de déployer des navires de guerre un peu partout. Il en est de même, dans une moindre mesure, de la Chine.
La plupart des puissances émergentes y sont aussi opposées. Non seulement l’axe franco-anglo-américain se trouve entravé au niveau de l’ONU, mais encore il peine à réunir une coalition de pays à même de le soutenir en cas de dérapage. Au contraire il voit se dessiner une alliance adverse qui trouve un appui relativement important dans ces puissances émergentes.
C’est pour toutes ces raisons que l’axe occidental a reculé en bon ordre et a fait mine d’avoir fait avancer les choses sur le plan diplomatique. Et certainement pas par respect de l’opinion publique et de la démocratie. Il en faudra beaucoup plus pour faire reculer l’impérialisme, à commencer par un petit peu plus de rigueur marxiste (défaitisme et internationalisme ) et d’unité dans la propagande du milieu révolutionnaire dans les pays des camps qui se dessinent. Mais surtout une véritable mobilisation prolétarienne de classe contre la bourgeoisie.
LA SYRIE II
Dans un premier article nous avons ébauché une critique d’un article du CCI et surtout de ses positions face à la guerre . Or ces positions ne sont pas nouvelles. Dans un article (RIMC n°8: « Le mouvement communiste et la guerre ») nous dénoncions déjà en 1991 « le scandaleux renoncement du CCI » au mot d’ordre du défaitisme révolutionnaire. Mais contrairement à une certaine orthodoxie vis-à-vis de ce courant nous ne pensons pas que cet abandon soit le fait d’une dégénérescence du CCI mais au contraire une évolution normale de ses positions fondamentales et notamment de ses positions sur la question nationale et plus généralement de sa théorie de la décadence du MPC.#
Nous avons aussi montré que cet article du CCI contrairement à ses prétentions n’expliquait nullement les causes de la guerre en Syrie.
Avant de tenter d’y voir plus clair dans la question des causes de la guerre en Syrie et dans la détermination des différentes forces en présence, il faut se placer du point de vue dialectique de la totalité, c’est-dire replacer le Syrie dans le marché mondial et dans l’histoire de l’aire arabe. Or une des caractéristiques de la Syrie actuelle, en plus des caractéristiques de toute cette aire, c’est de se trouver au cœur d’une région, le proche orient, dans laquelle la question nationale n’est toujours pas résolue. La lutte des classes en Syrie est aujourd’hui inséparable de la question nationale. Israël, Palestine, Liban, Syrie et Kurdistan constituent autant de questions nationales irrésolues qui pèsent tout particulièrement sur le prolétariat dans toute la région et constituent autant d’obstacles à une lutte prolétarienne indépendante.
Ce passif de la question nationale est un double héritage de la domination ottomane et de la colonisation franco-britannique. Lors des accords dits Sykes-Picot (1917) en pleine boucherie mondiale les impérialismes français et anglais se partagent déjà le gâteau des anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman, partage qui sera formalisé par les traités de Versailles (1919) et les traités de Sèvres, précédé de la conférence de San Remo (1920), et de Lausanne (1923). Nous ne pouvons pas nous étendre sur cette question (nous le ferons dans la 4° partie du texte sur « La lutte des classes dans l’aire arabe ») mais il est important de rappeler le rôle de la bourgeoisie française et sa responsabilité dans la situation du Proche-Orient et le poids de la question nationale, que résume très bien Georges Corm:
« Sitôt légalement mandatée par la SDN, la France proclame l’Etat du Grand Liban, puis saucissonne la Syrie en un Etat druze, un Etat alaouite, l’Etat de Damas (à prédominance sunnite), l’Etat d’Alep et la région d’Antioche et d’Alexandrette à population très mêlée d’Arabes en grande partie chrétiens et de Turcs. » (p.113 L’Europe et l’Orient. Editions La découverte 1989)
La situation actuelle révèle bien la permanence de cette question et sa trame parcourt la guerre civile en Syrie et son extension régionale:
- Israël a occupé le plateau du Golan en Syrie et la Syrie a fait pénétrer ses troupes au Liban, et soutient le Hezbollah. Ce dernier vient en aide à l’Etat syrien contre les insurgés syriens et les islamistes sunnites.
- Israël et le Hezbollah se combattent au Liban sud et en Galilée.
- Les palestiniens du Hamas et ceux du Fatah combattent également contre Israël que ce soit depuis les camps du Liban ou depuis la bande de Gaza ou la Cisjordanie.
-Les insurgés syriens, notamment les sunnites appuient et sont appuyés par les sunnites du Liban qui luttent à leur tour contre les chiites du Hezbollah menaçant de faire éclater une nouvelle guerre au Liban, avec un avant-goût dans la région de Tripoli.
- Enfin l’Iran arme le Hezbollah et soutient l’Etat syrien.
Pour l’Iran il s’agit d’autant de contrepoids face à la puissance d’Israël et aux monarchies sunnites alliées aux impérialismes occidentaux contre lesquels il est aux prises depuis 1979, et qui arment les insurgés syriens comme pour certains (le Qatar pour le nommer) les groupes islamistes radicaux de Lybie et du Sahel.
Quand à ces mêmes impérialismes ils tentent de faire pression sur l’Iran pour le forcer à s’ouvrir tout en abandonnant ses prétentions régionales et son programme nucléaire. Ainsi la pression sur la Syrie est aussi indirectement un signal lancé à l’Iran. Toutefois l’escalade militaire internationale a momentanément été freinée et la diplomatie a pris le relais. Surtout face à l’intransigeance de la Russie et de la Chine, impérialismes rivaux, quoique militairement moins puissants, sans toutefois faire baisser l’intensité des combats en Syrie.
De fait les négociations qui ont abouti au soit disant désarmement chimique de la Syrie ont laissé place aussitôt à celles sur le nucléaire iranien.
Or une fois de plus le gouvernement français s’est montré le plus jusqu’au-boutiste et le plus entêté. C’est que, comme nous l’avons signalé dans notre article précédent, la bourgeoisie française cherche à reprendre pieds au Liban et en Syrie, et s’est pour cela que depuis des années elle s’est considérablement rapprochée d’Israël. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que cela saute aux yeux ébahis des « experts ».
Ses intérêts convergent aussi momentanément avec ceux des monarchies sunnites auprès desquelles elle cherche constamment à ouvrir des débouchés et à passer des contrats de vente d’armes. N’oublions pas aussi que l’armée française a réussi à s’implanter dans la péninsule arabique.
En retour la pression exercée sur l’Iran vise indirectement son appui à la Syrie et au Hezbollah.
Néanmoins, la bourgeoisie française convoite le marché iranien et craint de passer à côté d’opportunités considérables.
Mais il semble que tout en jouant l’intransigeance face à l’Iran, et tout en contentant Israël et les monarchies sunnites, la diplomatie française a entamé des négociations parallèles avec l’Iran au sujet d’éventuels contrats et du règlements d’un vieux contentieux sur l’achat par l’Iran à la France de deux centrales nucléaires à un prix énormément surévalué sous la présidence de Pompidou en échange certainement d’un assouplissement de sa position officielle durant les négociations.
L’accord ayant finalement été signé par la France…
Le rôle de l’impérialisme dans le maintien et le pourrissement de cette situation est indéniable et devrait faire l’objet d’une analyse précise et d’une dénonciation constante de la part des révolutionnaires, mais on ne peut anticiper les voies possibles du développement de la lutte des classes dans cette région et leur issue en se cantonnant sur cet unique terrain. Et surtout, il est parfaitement stérile d’expliquer la cause de la guerre civile en Syrie par le fait de l’impérialisme des grandes puissances et par l’enjeu économique du pétrole au Moyen-Orient. Il faut analyser les forces sociales internes aux Etats impliqués. Et en premier lieu en Syrie même. Il faut partir de la structure économique et sociale et de ses contradictions. Car les luttes qui ont dégénéré en guerre civile ont certainement permis une intervention accrue des puissances impérialistes mais ces dernières ne les ont pas créées.
L’enchaînement qui mène des luttes de classes dans le sillage de la Tunisie et de l’Egypte à la guerre civile et aux tensions inter impérialistes, et la nature et la fonction de classe des fractions qui s’opposent tant au sein du pouvoir que dans le regroupement hétéroclite de l’Armée syrienne libre et de la Coalition nationale syrienne ne peuvent être appréhendés et analysés sans un examen initial de la structure économique et sociale de la Syrie et de ses contradictions. Et à moins de confondre la lutte des classes avec la vision policière de l’histoire, l’intervention étrangère et la pression impérialiste doivent n’être conçus que comme une conséquence de la première qui les polarise. D’une certaine manière l’occasion fait le larron. Que les impérialismes occidentaux veuillent depuis longtemps faire sauter le régime Syrien et lui substituer un gouvernement de fantoches à leur solde est un secret de polichinelle. Qu’ils aient saisi l’occasion des luttes internes et financé des groupes d’opposition l’est aussi. Mais cela n’explique en rien la nature même de ces luttes et leur possible devenir.
Le PCI Florence (La gauche communiste) est donc loin d’ apporter beaucoup plus d’éclaircissements que le CCI lorsqu’il dit à propos de la guerre en Syrie:
« L’analyse rapide et a-historique de nos propagandistes conclut le plus souvent à un conflit régional entre la puissance iranienne en concurrence depuis des siècles avec les pays arabes et à ce jour avec ceux du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, afin de parvenir au contrôle du Moyen-Orient, voire même pour les plus pointus à une guerre entre l’Iran soutenu par la Russie de Poutine et le monstre américain, et au pire pour les plus ignorants, à une guerre de religion islamique entre les traditionnels ennemis sunnites et chiites.
Les marxistes, pour qui l’histoire de l’humanité comporte un développement, une direction et un déterminisme, font une lecture différente et détectent dans le conflit syrien, survenu à la suite de tant d’autres conflits dans le monde, la patte énorme du capitalisme parvenu depuis plus d’un siècle au stade de l’impérialisme.
Les conflits qui agitent les petites nations, même si elles représentent des puissances régionales ne sont que l’expression des tensions pour la répartition des richesse de la planète entre les grands impérialismes dont la force militaire et diplomatique s’exprime au travers de leurs productions économiques et de leurs masses gigantesques de profit extorquée au prolétariat mondial. »
Une telle analyse tourne complètement le dos à la Gauche historique, et même à Lénine qui n’a jamais considéré les conflits dans le monde, même des « petites nations », avec une telle indifférence! Ici le PCI Florence rejoint finalement le CCI, pour lequel l’histoire s’est arrêtée il y a un siècle et nous explique tout à partir de sa délirante « théorie » de la décadence. Il suffit de substituer « impérialisme » à « décadence » et le tour est joué. D’ailleurs se ne sont pas uniquement les richesses du monde qui intéresse l’impérialisme mais également les débouchés pour sa pléthore de capitaux.
Le marxisme explique bien l’histoire des sociétés humaines en fonction d’un certain déterminisme économique mais il ne consiste nullement à réduire tout conflit à une lutte pour la répartition des richesses entre grandes puissances impérialistes. Dans une telle version du « marxisme » il n’y a donc plus de place depuis plus d’un siècle pour les luttes de systématisation nationales dans le monde, ni pour les luttes de libération nationales et les révolutions nationales et anti coloniales ? Selon ce déterminisme là aucune nation ne pourrait s’extraire des pattes de l’impérialisme et devenir à son tour une nation impérialiste, et la Chine et la Russie devraient donc encore être des nations arriérées dominées par les grands impérialismes. Ou bien le PCI souscrit-il à une autre « théorie », tout aussi « marxiste » et « déterministe », celle des grands et petits impérialismes dont on ne sait comment définir le grand et le petit sinon par la taille et le poids… Il n’y a dans une telle distinction rien qui permet de déterminer économiquement ce qu’est l’impérialisme capitaliste, car tous les Etats le serait plus ou moins.
Nous ne pouvons nous étendre plus sur la question de l’impérialisme mais il évident pour nous que celle-ci est loin d’être claire pour le milieu révolutionnaire, et que, encore une fois, c’est à un débat sur des questions théoriques de fond que nous appelons, plus qu’à une agitation stérile et à une course au regroupement politique. C’est selon nous plus sur ces questions et leur approfondissement qu’un réel regroupement marxiste pourra s’effectuer, que dans un activisme sans théorie ni principes.
En outre la question se pose, en l’absence d’un parti ouvrier, qui, s’il se constitue dans cette aire, verra vraisemblablement le jour plutôt en Egypte ou en Tunisie, voire en Algérie, avant d’influer sur le proche orient, de savoir quelle peut être l’issue de la guerre en Syrie, et suivant le cas, en quoi cette issue pourra-t-elle ou non favoriser la lutte des prolétaires de cette région ? L’indifférentisme face à ce type de question est étranger au marxisme.
Les causes de la guerre civile en Syrie doivent être analysées en partant de la crise du marché mondial qui frappe particulièrement l’aire arabe, déclenchant ce que les médias du monde entier ont appelé les printemps arabes.
Avant d’analyser dans un prochain article la situation propre à la Syrie, essayons de comparer les manifestations et les résultats de ce printemps arabe dans les différentes nations de cette aire géo-historique en tenant compte des différences historiques et sociaux économiques de chacune d’elles.
Partout où sous l’effet de la crise mondiale la lutte des classes a atteint une certaine intensité, d’importantes masses de la population se sont mobilisées contre les régimes en place. Mais le renversement de ces derniers n’a été effectif qu’en Tunisie et en Egypte. Même si l’évolution ultérieure dans ces pays s’est traduite par un retour des mêmes forces sociales comme en Egypte, ou par une certaine stagnation comme en Tunisie. Le contenu des luttes initiales est loin d’être entièrement épuisé (luttes ouvrières dans ces deux pays au cours des derniers mois ).
En Algérie d’importantes luttes économiques se sont développées, mais le régime a tenu bon malgré certaines mobilisations contre lui. Il en a été de même au Maroc.
Par contre en Lybie les évènements ont été plus confus du fait de la structure économique et sociale propre à ce pays (secteurs agricole et industriel quasiment inexistants, territoire essentiellement désertique, base tribale de l’Etat, rente pétrolière prépondérante dans l‘économie du pays) et au fait que l’unité nationale n’y est que le résultat artificiel et récent du colonialisme italien. De plus l’isolement du régime de Kadhafi sur la scène internationale et régionale a grandement favorisé l’intervention impérialiste de la coalition franco-britannique appuyée par les USA. La lutte des classes y fut rapidement dévoyée du fait que l’opposition au régime n’était pas le fait de la grande majorité comme en Tunisie et en Egypte. Elle glissa tout naturellement sur le terrain d’une guerre civile où renégats du régime, islamistes radicaux, espions et forces spéciales des impérialismes occidentaux prirent l’initiative sur les masses divisées et furent relayées par les armées impérialistes.
Dans les pays de la péninsule arabique, les printemps arabes, exception faite du Yémen, furent étouffés ou rapidement réprimés comme à Bahrein.
D’une manière générale, dans les pays de cette aire dont la structure économique et sociale reposait essentiellement sur la rente pétrolière, les régimes en place ont bien résisté. Le prolétariat, en dehors de l’Algérie et de L’Irak, y est essentiellement émigré et divisé en une myriade de nationalités différentes sans aucun droit ni organisation. Malgré la contestation grandissante des nationaux ces régimes peuvent encore soudoyer les couches les plus larges de leur population.
En Syrie, la lutte a pris un tour analogue à celui de la Lybie, mais du fait de sa situation stratégique et de l’appui que le régime syrien reçoit d’impérialismes comme la Russie et la Chine, ainsi que d’une puissance émergente comme l’Iran, l’intervention directe occidentale n’a pas pu se produire malgré les rodomontades françaises, mais la lutte s’est enlisée et le pourrissement de la situation gagne progressivement toute la région.
Pour comprendre comment la lutte des classes y a dégénéré en une guerre civile sans fin ni perspectives, il ne suffit donc pas d’avancer l’argument de l’impérialisme tout puissant qui convoite les ressources naturelles, ou la décomposition du capitalisme mondial, il convient de souligner la faiblesse du prolétariat en Syrie, sa faible concentration (prédominance de l’industrie artisanale), et le poids de ses divisions (question nationale: Kurdistan, Liban, Israël et Palestine).
En outre, et le milieu révolutionnaire néglige généralement ce fait, cette lutte engage d’autres classes. et si le prolétariat est apparu déterminant dans les printemps arabes, nulle part il ne s’est encore manifesté en tant que tel, avec une organisation et un programme propre, contrairement à certaines fractions de la bourgeoisie arabe. Ce qui pose notamment la question de la nature de classe des différents partis islamistes et des possibilités que l’évolution politique dans le monde arabe débouche sous l’effet de ces mêmes luttes de classes à une domination plus pure de la bourgeoisie et à une lutte plus ouverte et plus directe entre bourgeoisie et prolétariat.
En Syrie, une telle évolution ne peut avoir lieu sans un règlement de la question nationale, celle des kurdes comme celle du Liban. Et ces questions entraînent avec elles tous les Etats de la région et derrière eux les divers intérêts impérialistes.
Dans un premier article nous avons ébauché une critique d’un article du CCI et surtout de ses positions face à la guerre . Or ces positions ne sont pas nouvelles. Dans un article (RIMC n°8: « Le mouvement communiste et la guerre ») nous dénoncions déjà en 1991 « le scandaleux renoncement du CCI » au mot d’ordre du défaitisme révolutionnaire. Mais contrairement à une certaine orthodoxie vis-à-vis de ce courant nous ne pensons pas que cet abandon soit le fait d’une dégénérescence du CCI mais au contraire une évolution normale de ses positions fondamentales et notamment de ses positions sur la question nationale et plus généralement de sa théorie de la décadence du MPC.#
Nous avons aussi montré que cet article du CCI contrairement à ses prétentions n’expliquait nullement les causes de la guerre en Syrie.
Avant de tenter d’y voir plus clair dans la question des causes de la guerre en Syrie et dans la détermination des différentes forces en présence, il faut se placer du point de vue dialectique de la totalité, c’est-dire replacer le Syrie dans le marché mondial et dans l’histoire de l’aire arabe. Or une des caractéristiques de la Syrie actuelle, en plus des caractéristiques de toute cette aire, c’est de se trouver au cœur d’une région, le proche orient, dans laquelle la question nationale n’est toujours pas résolue. La lutte des classes en Syrie est aujourd’hui inséparable de la question nationale. Israël, Palestine, Liban, Syrie et Kurdistan constituent autant de questions nationales irrésolues qui pèsent tout particulièrement sur le prolétariat dans toute la région et constituent autant d’obstacles à une lutte prolétarienne indépendante.
Ce passif de la question nationale est un double héritage de la domination ottomane et de la colonisation franco-britannique. Lors des accords dits Sykes-Picot (1917) en pleine boucherie mondiale les impérialismes français et anglais se partagent déjà le gâteau des anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman, partage qui sera formalisé par les traités de Versailles (1919) et les traités de Sèvres, précédé de la conférence de San Remo (1920), et de Lausanne (1923). Nous ne pouvons pas nous étendre sur cette question (nous le ferons dans la 4° partie du texte sur « La lutte des classes dans l’aire arabe ») mais il est important de rappeler le rôle de la bourgeoisie française et sa responsabilité dans la situation du Proche-Orient et le poids de la question nationale, que résume très bien Georges Corm:
« Sitôt légalement mandatée par la SDN, la France proclame l’Etat du Grand Liban, puis saucissonne la Syrie en un Etat druze, un Etat alaouite, l’Etat de Damas (à prédominance sunnite), l’Etat d’Alep et la région d’Antioche et d’Alexandrette à population très mêlée d’Arabes en grande partie chrétiens et de Turcs. » (p.113 L’Europe et l’Orient. Editions La découverte 1989)
La situation actuelle révèle bien la permanence de cette question et sa trame parcourt la guerre civile en Syrie et son extension régionale:
- Israël a occupé le plateau du Golan en Syrie et la Syrie a fait pénétrer ses troupes au Liban, et soutient le Hezbollah. Ce dernier vient en aide à l’Etat syrien contre les insurgés syriens et les islamistes sunnites.
- Israël et le Hezbollah se combattent au Liban sud et en Galilée.
- Les palestiniens du Hamas et ceux du Fatah combattent également contre Israël que ce soit depuis les camps du Liban ou depuis la bande de Gaza ou la Cisjordanie.
-Les insurgés syriens, notamment les sunnites appuient et sont appuyés par les sunnites du Liban qui luttent à leur tour contre les chiites du Hezbollah menaçant de faire éclater une nouvelle guerre au Liban, avec un avant-goût dans la région de Tripoli.
- Enfin l’Iran arme le Hezbollah et soutient l’Etat syrien.
Pour l’Iran il s’agit d’autant de contrepoids face à la puissance d’Israël et aux monarchies sunnites alliées aux impérialismes occidentaux contre lesquels il est aux prises depuis 1979, et qui arment les insurgés syriens comme pour certains (le Qatar pour le nommer) les groupes islamistes radicaux de Lybie et du Sahel.
Quand à ces mêmes impérialismes ils tentent de faire pression sur l’Iran pour le forcer à s’ouvrir tout en abandonnant ses prétentions régionales et son programme nucléaire. Ainsi la pression sur la Syrie est aussi indirectement un signal lancé à l’Iran. Toutefois l’escalade militaire internationale a momentanément été freinée et la diplomatie a pris le relais. Surtout face à l’intransigeance de la Russie et de la Chine, impérialismes rivaux, quoique militairement moins puissants, sans toutefois faire baisser l’intensité des combats en Syrie.
De fait les négociations qui ont abouti au soit disant désarmement chimique de la Syrie ont laissé place aussitôt à celles sur le nucléaire iranien.
Or une fois de plus le gouvernement français s’est montré le plus jusqu’au-boutiste et le plus entêté. C’est que, comme nous l’avons signalé dans notre article précédent, la bourgeoisie française cherche à reprendre pieds au Liban et en Syrie, et s’est pour cela que depuis des années elle s’est considérablement rapprochée d’Israël. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que cela saute aux yeux ébahis des « experts ».
Ses intérêts convergent aussi momentanément avec ceux des monarchies sunnites auprès desquelles elle cherche constamment à ouvrir des débouchés et à passer des contrats de vente d’armes. N’oublions pas aussi que l’armée française a réussi à s’implanter dans la péninsule arabique.
En retour la pression exercée sur l’Iran vise indirectement son appui à la Syrie et au Hezbollah.
Néanmoins, la bourgeoisie française convoite le marché iranien et craint de passer à côté d’opportunités considérables.
Mais il semble que tout en jouant l’intransigeance face à l’Iran, et tout en contentant Israël et les monarchies sunnites, la diplomatie française a entamé des négociations parallèles avec l’Iran au sujet d’éventuels contrats et du règlements d’un vieux contentieux sur l’achat par l’Iran à la France de deux centrales nucléaires à un prix énormément surévalué sous la présidence de Pompidou en échange certainement d’un assouplissement de sa position officielle durant les négociations.
L’accord ayant finalement été signé par la France…
Le rôle de l’impérialisme dans le maintien et le pourrissement de cette situation est indéniable et devrait faire l’objet d’une analyse précise et d’une dénonciation constante de la part des révolutionnaires, mais on ne peut anticiper les voies possibles du développement de la lutte des classes dans cette région et leur issue en se cantonnant sur cet unique terrain. Et surtout, il est parfaitement stérile d’expliquer la cause de la guerre civile en Syrie par le fait de l’impérialisme des grandes puissances et par l’enjeu économique du pétrole au Moyen-Orient. Il faut analyser les forces sociales internes aux Etats impliqués. Et en premier lieu en Syrie même. Il faut partir de la structure économique et sociale et de ses contradictions. Car les luttes qui ont dégénéré en guerre civile ont certainement permis une intervention accrue des puissances impérialistes mais ces dernières ne les ont pas créées.
L’enchaînement qui mène des luttes de classes dans le sillage de la Tunisie et de l’Egypte à la guerre civile et aux tensions inter impérialistes, et la nature et la fonction de classe des fractions qui s’opposent tant au sein du pouvoir que dans le regroupement hétéroclite de l’Armée syrienne libre et de la Coalition nationale syrienne ne peuvent être appréhendés et analysés sans un examen initial de la structure économique et sociale de la Syrie et de ses contradictions. Et à moins de confondre la lutte des classes avec la vision policière de l’histoire, l’intervention étrangère et la pression impérialiste doivent n’être conçus que comme une conséquence de la première qui les polarise. D’une certaine manière l’occasion fait le larron. Que les impérialismes occidentaux veuillent depuis longtemps faire sauter le régime Syrien et lui substituer un gouvernement de fantoches à leur solde est un secret de polichinelle. Qu’ils aient saisi l’occasion des luttes internes et financé des groupes d’opposition l’est aussi. Mais cela n’explique en rien la nature même de ces luttes et leur possible devenir.
Le PCI Florence (La gauche communiste) est donc loin d’ apporter beaucoup plus d’éclaircissements que le CCI lorsqu’il dit à propos de la guerre en Syrie:
« L’analyse rapide et a-historique de nos propagandistes conclut le plus souvent à un conflit régional entre la puissance iranienne en concurrence depuis des siècles avec les pays arabes et à ce jour avec ceux du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, afin de parvenir au contrôle du Moyen-Orient, voire même pour les plus pointus à une guerre entre l’Iran soutenu par la Russie de Poutine et le monstre américain, et au pire pour les plus ignorants, à une guerre de religion islamique entre les traditionnels ennemis sunnites et chiites.
Les marxistes, pour qui l’histoire de l’humanité comporte un développement, une direction et un déterminisme, font une lecture différente et détectent dans le conflit syrien, survenu à la suite de tant d’autres conflits dans le monde, la patte énorme du capitalisme parvenu depuis plus d’un siècle au stade de l’impérialisme.
Les conflits qui agitent les petites nations, même si elles représentent des puissances régionales ne sont que l’expression des tensions pour la répartition des richesse de la planète entre les grands impérialismes dont la force militaire et diplomatique s’exprime au travers de leurs productions économiques et de leurs masses gigantesques de profit extorquée au prolétariat mondial. »
Une telle analyse tourne complètement le dos à la Gauche historique, et même à Lénine qui n’a jamais considéré les conflits dans le monde, même des « petites nations », avec une telle indifférence! Ici le PCI Florence rejoint finalement le CCI, pour lequel l’histoire s’est arrêtée il y a un siècle et nous explique tout à partir de sa délirante « théorie » de la décadence. Il suffit de substituer « impérialisme » à « décadence » et le tour est joué. D’ailleurs se ne sont pas uniquement les richesses du monde qui intéresse l’impérialisme mais également les débouchés pour sa pléthore de capitaux.
Le marxisme explique bien l’histoire des sociétés humaines en fonction d’un certain déterminisme économique mais il ne consiste nullement à réduire tout conflit à une lutte pour la répartition des richesses entre grandes puissances impérialistes. Dans une telle version du « marxisme » il n’y a donc plus de place depuis plus d’un siècle pour les luttes de systématisation nationales dans le monde, ni pour les luttes de libération nationales et les révolutions nationales et anti coloniales ? Selon ce déterminisme là aucune nation ne pourrait s’extraire des pattes de l’impérialisme et devenir à son tour une nation impérialiste, et la Chine et la Russie devraient donc encore être des nations arriérées dominées par les grands impérialismes. Ou bien le PCI souscrit-il à une autre « théorie », tout aussi « marxiste » et « déterministe », celle des grands et petits impérialismes dont on ne sait comment définir le grand et le petit sinon par la taille et le poids… Il n’y a dans une telle distinction rien qui permet de déterminer économiquement ce qu’est l’impérialisme capitaliste, car tous les Etats le serait plus ou moins.
Nous ne pouvons nous étendre plus sur la question de l’impérialisme mais il évident pour nous que celle-ci est loin d’être claire pour le milieu révolutionnaire, et que, encore une fois, c’est à un débat sur des questions théoriques de fond que nous appelons, plus qu’à une agitation stérile et à une course au regroupement politique. C’est selon nous plus sur ces questions et leur approfondissement qu’un réel regroupement marxiste pourra s’effectuer, que dans un activisme sans théorie ni principes.
En outre la question se pose, en l’absence d’un parti ouvrier, qui, s’il se constitue dans cette aire, verra vraisemblablement le jour plutôt en Egypte ou en Tunisie, voire en Algérie, avant d’influer sur le proche orient, de savoir quelle peut être l’issue de la guerre en Syrie, et suivant le cas, en quoi cette issue pourra-t-elle ou non favoriser la lutte des prolétaires de cette région ? L’indifférentisme face à ce type de question est étranger au marxisme.
Les causes de la guerre civile en Syrie doivent être analysées en partant de la crise du marché mondial qui frappe particulièrement l’aire arabe, déclenchant ce que les médias du monde entier ont appelé les printemps arabes.
Avant d’analyser dans un prochain article la situation propre à la Syrie, essayons de comparer les manifestations et les résultats de ce printemps arabe dans les différentes nations de cette aire géo-historique en tenant compte des différences historiques et sociaux économiques de chacune d’elles.
Partout où sous l’effet de la crise mondiale la lutte des classes a atteint une certaine intensité, d’importantes masses de la population se sont mobilisées contre les régimes en place. Mais le renversement de ces derniers n’a été effectif qu’en Tunisie et en Egypte. Même si l’évolution ultérieure dans ces pays s’est traduite par un retour des mêmes forces sociales comme en Egypte, ou par une certaine stagnation comme en Tunisie. Le contenu des luttes initiales est loin d’être entièrement épuisé (luttes ouvrières dans ces deux pays au cours des derniers mois ).
En Algérie d’importantes luttes économiques se sont développées, mais le régime a tenu bon malgré certaines mobilisations contre lui. Il en a été de même au Maroc.
Par contre en Lybie les évènements ont été plus confus du fait de la structure économique et sociale propre à ce pays (secteurs agricole et industriel quasiment inexistants, territoire essentiellement désertique, base tribale de l’Etat, rente pétrolière prépondérante dans l‘économie du pays) et au fait que l’unité nationale n’y est que le résultat artificiel et récent du colonialisme italien. De plus l’isolement du régime de Kadhafi sur la scène internationale et régionale a grandement favorisé l’intervention impérialiste de la coalition franco-britannique appuyée par les USA. La lutte des classes y fut rapidement dévoyée du fait que l’opposition au régime n’était pas le fait de la grande majorité comme en Tunisie et en Egypte. Elle glissa tout naturellement sur le terrain d’une guerre civile où renégats du régime, islamistes radicaux, espions et forces spéciales des impérialismes occidentaux prirent l’initiative sur les masses divisées et furent relayées par les armées impérialistes.
Dans les pays de la péninsule arabique, les printemps arabes, exception faite du Yémen, furent étouffés ou rapidement réprimés comme à Bahrein.
D’une manière générale, dans les pays de cette aire dont la structure économique et sociale reposait essentiellement sur la rente pétrolière, les régimes en place ont bien résisté. Le prolétariat, en dehors de l’Algérie et de L’Irak, y est essentiellement émigré et divisé en une myriade de nationalités différentes sans aucun droit ni organisation. Malgré la contestation grandissante des nationaux ces régimes peuvent encore soudoyer les couches les plus larges de leur population.
En Syrie, la lutte a pris un tour analogue à celui de la Lybie, mais du fait de sa situation stratégique et de l’appui que le régime syrien reçoit d’impérialismes comme la Russie et la Chine, ainsi que d’une puissance émergente comme l’Iran, l’intervention directe occidentale n’a pas pu se produire malgré les rodomontades françaises, mais la lutte s’est enlisée et le pourrissement de la situation gagne progressivement toute la région.
Pour comprendre comment la lutte des classes y a dégénéré en une guerre civile sans fin ni perspectives, il ne suffit donc pas d’avancer l’argument de l’impérialisme tout puissant qui convoite les ressources naturelles, ou la décomposition du capitalisme mondial, il convient de souligner la faiblesse du prolétariat en Syrie, sa faible concentration (prédominance de l’industrie artisanale), et le poids de ses divisions (question nationale: Kurdistan, Liban, Israël et Palestine).
En outre, et le milieu révolutionnaire néglige généralement ce fait, cette lutte engage d’autres classes. et si le prolétariat est apparu déterminant dans les printemps arabes, nulle part il ne s’est encore manifesté en tant que tel, avec une organisation et un programme propre, contrairement à certaines fractions de la bourgeoisie arabe. Ce qui pose notamment la question de la nature de classe des différents partis islamistes et des possibilités que l’évolution politique dans le monde arabe débouche sous l’effet de ces mêmes luttes de classes à une domination plus pure de la bourgeoisie et à une lutte plus ouverte et plus directe entre bourgeoisie et prolétariat.
En Syrie, une telle évolution ne peut avoir lieu sans un règlement de la question nationale, celle des kurdes comme celle du Liban. Et ces questions entraînent avec elles tous les Etats de la région et derrière eux les divers intérêts impérialistes.
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