LES GILETS JAUNES: UN MOMENT DE LA LUTTE DES CLASSES EN FRANCE (juillet 2020)
I/Capitalisme et lutte des classes : Le cas de la bourgeoisie française.
1/ La lutte des classes tout comme les révolutions qu'elle engendre n'est jamais pure. Elle découle des contradictions mêmes du mode de production, et surtout de la contradiction fondamentale entre le développement des forces sociales de production et les rapports sociaux déterminés d'un tel mode de production qui correspondent aux intérêts de la classe dominante qui l'incarne.
En l'occurrence sur la base du mode de production spécifiquement capitaliste cette contradiction pousse la bourgeoisie à accroître sans cesse l'exploitation de la force de travail en la dévalorisant. C'est-à-dire qu'elle ne peut continuer à développer les forces productives dans le cadre déterminé de ces rapports étroits correspondants à ses intérêts de classe qu'en dévalorisant la force de travail.
Le moyen principal de cette dévalorisation qui permet l'augmentation de la plus-value relative passe par la diminution de la valeur des marchandises qui entrent dans la consommation des ouvriers. Si le capital rencontre quelques limites à ce procédé, il doit s'attaquer au salaire et se heurter directement à la classe ouvrière.
Avec la généralisation du salariat de telles attaques atteignent également les nouvelles classes moyennes salariées qui constituent des faux frais du capital. Ce faisant la bourgeoisie s'attaque à plusieurs classes aux intérêts eux-mêmes contradictoires tant économiquement qu'historiquement, mais qui peuvent momentanément converger.
L'accroissement de la valorisation du capital peut également être obtenue par la diminution des impôts qui limitent la plus-value. Ceux-ci sont nécessaires au financement de la machine d'Etat qui garantit le maintien du système dans son ensemble, sa cohésion, et sa défense contre les autres Etats dans la concurrence sur le marché mondial, et contre les révoltes des classes dominées, principalement de la classe exploitée : le prolétariat. Dans son aspect de maintien de la cohésion sociale et de gestion des infrastructures collectives et de l’environnement l’Etat soumis aux intérêts du capital prend nécessairement la forme bourgeoise de certains services publics dont aucune société ne peut se passer, mais qui dans la communauté du capital deviennent la proie de l’affairisme et de l’entreprise privée ou publique, avec recherche du maximum de profit. D’où l’économie de la catastrophe qui règne dans ces domaines comme dans tous les autres. De ce fait la rationalisation de la machine d’Etat ne peut aboutir à une réduction de l’Etat qui prend toujours plus d’ampleur et dont la charge ne peut être diminuée de façon absolue mais seulement relative. La domination réelle du capital sur la société impose à la bourgeoisie un Etat toujours plus pléthorique et des budgets éléphantesques toujours plus voraces. Le pays du plus grand libéralisme étant également celui qui entretien l’Etat le plus surdimensionné : les Etats-Unis ! Le capital a besoin de cet Etat totalitaire pour sa domination réelle de l’ensemble de la société et son rôle régulateur de l’économie. L’Etat fonctionne alors pleinement au service du capital en général et les fractions de la bourgeoisie les plus influentes cherchent à en tirer le maximum de profit en promouvant un personnel politique qui lui sera soumis et fera pencher le bureaucrate de service en faveur de ses affaires. Affaires d’autant plus lucratives qu’elles seront en partie subventionnées par l’Etat.
Si la bourgeoisie ne peut se permettre de risquer un affaiblissement des fonctions régaliennes de cet organe qui lui est indispensable, elle peut toutefois chercher à le rendre plus efficace à moindre coût, en le rationalisant mais également en s'attaquant au revenu des fonctionnaires et en limitant leur nombre. Certaines opérations peuvent être transférées à des entreprises capitalistes comme dans l’armée, la police et la justice ou la comptabilité publique. Ces ministères et leurs administrations ont de plus en plus recours à l’externalisation et aux contractuels.
Elle peut également réduire voire supprimer en les transférant à des capitaux privés la plupart des services publics. Transformer les services publics en services marchands desquels le capital peut retirer un profit est nécessairement une tendance qui rencontre des limites car ceux-ci ne sont généralement rentables pour les capitaux que si l’Etat supporte le poids financier du capital fixe.
Enfin elle peut faire peser l'impôt plus lourdement sur les autres classes, y compris sur les propriétaires fonciers avec lesquels elle s'allie régulièrement contre le prolétariat. Le transfert de la rente foncière à l'Etat afin de le financer fait partie des mesures envisagées par une fraction radicale de la bourgeoisie industrielle au moins depuis RICARDO.
Là encore la lutte met en jeu les différentes classes de la société dont les intérêts antagonistes se mêlent et s'opposent sous la poussée des contradictions antagonistes du système capitaliste, rendant les mouvements sociaux plus ou moins pluri et interclassistes jusqu'à un certain point ou la différenciation de classe devient inéluctable.
2/ La bourgeoisie de tous les pays où le capital domine réellement la société doit donc accentuer l'offensive de classe et s'attaquer à ce qu'elle avait été forcée de concéder, ce qu'elle légitime en invoquant la nécessité des réformes, surtout depuis que les crises cycliques ont de nouveau dépassé le stade de simples récessions auxquelles le capital était parvenu à les réduire momentanément après la deuxième guerre mondiale. Tout comme elle adopte une forme de planification économique afin de tenter de conjurer la surproduction et affronter la concurrence elle doit en quelque sorte planifier une série de réformes politiques et sociales afin de pouvoir soutirer le maximum de plus-value au prolétariat tout en renforçant son Etat.
En ce qui concerne la bourgeoisie française, d'une part elle vise la forme même de l'Etat tel qu'il était issu de la deuxième guerre mondiale (le fameux Etat providence et le pacte de collaboration sociale entre les classes sur lequel il repose permettant d'obtenir l'appui de la classe ouvrière sans lequel la bourgeoisie ne peut continuer à diriger elle-même); d'autre part le salaire indirect, dont la gestion par les « partenaires sociaux » constitue également une des formes de cette collaboration de classe à laquelle les réformistes (partis de gauche et syndicats en tête) ont tant contribué main dans la main avec les capitalistes.
En outre cette offensive doit d'autant plus s'intensifier que lors de la dernière crise de surproduction, l'Etat a dû « investir » (BORDIGA parlait d'éjaculation dans « Structure économique et sociale de la Russie d'aujourd'hui) plus que jamais pour relancer le cycle économique et accompagner cette relance. Notamment par le renflouement des organismes bancaires et le « sauvetage » des Etats les plus faibles en échange de prêts usuraires. Même si en contrepartie ces derniers se sont trouvés confrontés à la nécessité d'appliquer des politiques d'austérité sans précédent, au risque de ranimer la lutte du prolétariat chez eux (par exemple la Grèce, l'Irlande ou le Portugal) avec le risque de contagion.
Ce faisant, en France, mais également dans la plupart des nations de vieux capitalisme, elle s'est attaquée, d'une part aux services publics qu'elle a en partie transférés aux capitaux privés, en partie réduits , surtout quand à leur présence dans les milieux ruraux en les concentrant dans les grandes agglomérations urbaines, réalisant ainsi des économies d'échelle et de personnel, d'autre part au salaire indirect (assurance vieillesse, chômage, assurance maladie, allocations familiales etc.), en réduisant les prestations, en diminuant la part des entreprises, et en augmentant, dans un premier temps, celles des salariés dans les prélèvements sociaux. Toutefois les tactiques peuvent varier et dépendent tant de particularités nationales et historiques que des aléas de la lutte des classes elle-même.
L'objectif de la bourgeoisie, en ce qui concerne cette part du salaire indirecte et différée, ne se situe pas à l'intérieur du système hérité de l'après deuxième guerre mondiale mais en dehors, par sa suppression et son remplacement par un système plus adapté aux conditions actuelles de la valorisation du capital. D'où le fait qu'elle organise l'épuisement de ce système en réduisant dans un deuxième temps les cotisations sociales d'un grand nombre de salariés actifs, évitant ainsi que la baisse du salaire apparaisse immédiatement. En rognant toujours plus sur leur salaire indirect et leur pouvoir d'achat futur, elle s'est attaquée plus directement aux inactifs et aux inemployés, censés être moins combattifs, sur lesquels elle a cherché à faire peser plus lourdement le coût de ses réformes. Mais la pression directe sur les actifs employés opère parallèlement au travers du chantage au licenciement rendu beaucoup plus efficace grâce à la loi travail passée en force en plusieurs temps à coup d'article 49-3 sous la présidence Hollande et d'ordonnances sous celle de Macron. D'autant que les réformes en cours portant sur le régime d'indemnisation du chômage ont de quoi leur faire redouter les licenciements devenus d'autant plus faciles à pratiquer en fonction des besoins.
En ce qui concerne l'impôt également l'objectif de la bourgeoisie se situe en dehors de l'impôt sur le revenu, sur le terrain des impôts indirects qui pèsent essentiellement et de manière proportionnellement plus lourde sur la grande majorité des salariés, à commencer par les plus pauvres d'entre eux qui par ailleurs sont généralement exonérés d'impôt sur le revenu. D'où l'empilement de nouvelles taxes et autres redevances, comme la taxe carbone etc. Or une taxe comme la taxe sur les carburants se distingue tout particulièrement de l'impôt et notamment de l'impôt sur le revenu en ce que ce dernier, même si ce n'est pas la seule différence, n'a pas vocation à assurer l'entretien et le développement des infrastructures routières contrairement à la première, même si depuis des années, celles-ci sont quasiment à l'abandon, les recettes de ces taxes ayant été certainement détournées de leur véritable destination. Nous reviendrons plus bas sur cette question puisque ce fut l'augmentation programmée de ces taxes qui fut à l'origine du mouvement. Il suffit ici de préciser que cette taxe profitait également aux collectivités locales et que par conséquent elles pouvaient compenser une partie des pertes dues à la suppression progressive d'une partie des taxes d'habitations remplacées par une dotation à la discrétion de l'Etat. Cette mesure démagogique était destinée à faire avaler la pilule amère des réformes en cours, des attaques passées présentes et à venir, tout en avançant surement vers le désengagement progressif de l'Etat vis-à-vis des collectivités locales.
Tout en diminuant le poids de l'impôt sur le capital comme le passage de l'ISF à l'IFI, certaines mesures visent également à faire disparaître le système des impôts directs et progressifs en cherchant à fusionner impôt sur le revenu et CSG (Contribution sociale généralisée).
Le prélèvement à la source si souvent repoussé par les différents gouvernements fut finalement acté par la bourgeoisie française, malgré la grogne des PME, car il facilite les mesures précédentes sur plus d'un plan, outre qu'il s'agissait d'un archaïsme pour la bourgeoisie française.
Il existe évidemment de nombreux autres angles d'attaque de la bourgeoisie contre la classe ouvrière afin d'en soutirer un maximum de plus-value, comme les délocalisations, le recours à la main d'oeuvre immigrée plus docile et plus mal payée, mais également la précarisation des emplois et le maintien d'une forte surpopulation relative de chômeurs qui freine la progression générale des salaires, l'augmentation de la durée du travail, etc. Et elle ne s'en prive pas.
D'ailleurs les réformes successives des retraites visent en outre à l'augmentation de cette durée de la vie active des travailleurs, abaissant par conséquent le niveau des salaires. Durée qui peut également être augmentée de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle par des accords d'entreprises rendus plus faciles par les réformes du droit du travail. Ainsi, face aux difficultés rencontrées par le capital pour accroître la plus-value relative, elle cherche à accroître également la plus-value absolue.
Toutefois comme nous l'avons évoqué ci-dessus, il existe d'importantes différences de situation selon les Etats. Et notamment entre les pays anglo-saxons et les pays latins, les premiers ayant déjà bien engagé certaines réformes, notamment sur le terrain fiscal et de la précarisation du travail. Le retard de la bourgeoisie française tient évidemment aux particularités de son histoire dont nous ne pouvons pas traiter ici. Nous nous contenterons de quelques généralités remontant à la 2° guerre mondiale jusqu'à nos jours.
3/ En France la bourgeoisie a connu une situation tout à fait particulière durant et après la deuxième guerre mondiale. Ayant perdu la guerre face à l'Allemagne, divisée sous l'occupation entre le régime collaborateur de Vichy et la résistance de ladite France libre, elle a fini par retrouver un semblant d'indépendance et d'unité sous la férule des Etats-Unis à la Libération puis sous la 4° République. A la fin de la guerre elle dut faire des concessions aux réformistes staliniens et aux syndicats ouvriers au travers du fameux CNR dans la mesure où ceux-ci garantissaient l'intégration du prolétariat dans la communauté nationale du capital et son encadrement en vue de la reconstruction. Mais elle n'est parvenue à se donner une forme adéquate d'Etat qu'après la fin de la reconstruction et la récession de 1957, avec la constitution de la 5° République sous la présidence du Général De Gaulle. A ce moment-là on peut considérer que le capital domine réellement la société et la machine d'Etat en France.
Celle-ci devait permettre à la bourgeoisie française de congédier l'ami américain et de faire face tant aux révolutions dans l'Empire colonial français qu'à la concurrence sur le marché mondial. La modernisation prit alors une forme politiquement organisée et centralisée et les archaïsmes de l'économie furent éliminés (élimination de la petite agriculture et de la petite bourgeoisie, développement des nouvelles classes moyennes salariées, etc.).
Ce fut d'ailleurs après avoir réglé la question coloniale que la 5° République fit entrer massivement la main d'oeuvre immigrée dans sa compétition avec les USA au cours des années 60 et 70 du siècle passé avant de se lancer dans les restructurations industrielles et l'automation au milieu des années 70. Ce qui aboutit à une explosion du chômage et à la reconstitution de l'armée industrielle de réserve.
Toutefois si la bourgeoisie française avait trouvé la forme adéquate d'Etat avec la 5° République dans les conditions d'alors, celle-ci s'est avérée imparfaite sur plusieurs plans et notamment pour faire face à de nouvelles situations comme la grande grève de Mai Juin 68 ou le retour des crises cycliques et l'affaiblissement de ses garde-fous staliniens et syndicaux après 68.
Pour mener à bout les réformes nécessaires à la compétitivité du capital français il a d'abord fallu illusionner les prolétaires sur la perspective politique d'un changement avec l'union de la gauche largement soutenue par les gauchistes de tout poil.
Celle-ci parvenue au pouvoir en 1981, après avoir concédé quelques améliorations sociales comme la retraite à 60 ans et les 39 heures put aisément commencer à détricoter le pacte social de la libération sous la direction du cynique Mitterrand ex royaliste puis cagoulard passé à la résistance puis à la social-démocratie, à la répression des révolutions anti coloniales puis à celle des résistances ouvrières des années 80. Dans ce « travail », la bourgeoisie française toujours centralisatrice, dotée d'un pouvoir de gauche, pris du retard sur ses concurrents anglosaxons.
Sur le plan politique, l'émiettement des partis de gouvernement constituait une faiblesse de la bourgeoisie française, contrairement aux bourgeoisies anglo-saxonnes qui avaient institué une espèce de bipartisme assurant l'alternance au pouvoir en évitant les crises politiques graves : la droite représentant le capital et la gauche représentant le travail (Démocrates et Républicains aux USA, Conservateurs et Travaillistes en GB, Démocrates Chrétiens et Sociaux-Démocrates en RFA etc.). La marginalisation du PCF après 68 et l'affaiblissement de la CGT qui ont accompagné les restructurations industrielles, nécessaires pour maintenir la compétitivité du capital français sur le marché mondial, puis la chute du mur de Berlin avec l'éclatement du bloc de l'Est et l'implosion de l'URSS ont accéléré la restructuration politique et syndicale en France entre le milieu des années 80 et celui des années 90.
Malgré cette restructuration, une autre des faiblesses de la 5° République résidait dans la possibilité calamiteuse pour le pouvoir de la cohabitation qui ne manqua pas de se produire. Celle-ci entrave le travail de l'équipe qui gouverne car elle doit faire face à une présidence qui incarne alors l'opposition. La mystification démocratique avec l'illusion de l'alternance tant à s'affaiblir si les deux parties vont main dans la main à la tête de l'Etat. La gauche et la droite avec leurs avatars des extrêmes risquent fort d'être également déconsidérés laissant un dangereux vide de pouvoir. D'où la difficulté pour la bourgeoisie française de mener à bien les réformes dont elle avait un urgent besoin afin d'accroître l'exploitation de la classe ouvrière.
Cette difficulté fut surmontée avec le passage au quinquennat et à la synchronisation des élections présidentielles avec les législatives qui permettent généralement de donner une majorité absolue au parti présidentiel, laissant l'opposition jouer son rôle d'amuseur des classes dominées.
La bourgeoisie pensait dès lors pouvoir d'autant plus facilement balayer tous les obstacles que les mouvements sociaux et le nombre de jours de grèves n'avaient cessé de diminuer depuis le début des années 80, surtout avec la reconstitution d'une armée de réserve et la recréation d'une surpopulation de pauvres totalement exclus, le paupérisme de Marx, dont les principaux artisans furent les ministres des gouvernements Mauroy et tout particulièrement la clique des sociaux libéraux, le « curé » Delors, le suicidé Bérégovoy et le scout carriériste (« hamster érudit ») Michel Rocard, plus tard à la manœuvre contre les régimes de retraite des travailleurs salariés.
Après la consolidation de la gauche autour du parti socialiste et la droite autour du RPR, la gauche au pouvoir s'empressa d'accélérer le processus de modernisation restructuration du capital français ; ce qui se traduisit dès le milieu des années 80 par l'apparition des « nouveaux pauvres » comme indiqué précédemment, puis après une première cohabitation et avec le retour de la droite au gouvernement dans le cadre d'une deuxième cohabitation, les premières réformes des retraites débutèrent, sous le gouvernement Balladur (l’homme soupçonné dans l’affaire des rétrocommissions dans la vente de sous-marins au Pakistan) avec Fillon, dès 1993 dans le secteur privé ; mais le livre blanc sur les retraites préparant cette première réforme date lui de 1991, sous la houlette de Michel Rocard également initiateur de la CSG, une source de revenu pour l'Etat qui constitue plus du double de l'impôt sur le revenu et qui n'est plus progressif, permettant la baisse des charges sociales patronales !
Ce fut ensuite au tour des régimes spéciaux en 1995 avec la réforme de la sécurité sociale tentée par Alain Juppé. Mais comme l'on s'en souvient il dut faire face à une résistance inattendue, notamment de la part des cheminots, et ne put mener la réforme à bout, même si l'encadrement corporatiste syndicaliste et la division théâtrale des rôles, désormais classique, entre CGT et CFDT ont permis d'infliger de nouveaux coups comme l'instauration de la CRDS, l'augmentation de la CSG et le gel des allocations familiales...
La stratégie consiste toujours à frapper séparément et tour à tour les différentes catégories du prolétariat, mais en laissant une partie du travail inachevé jusqu'aux futures élections afin de chercher malgré tout à se faire réélire. Le relais fut donné à la gauche, mais dans le cadre d'une nouvelle cohabitation entre 1997 et 2002. Ce qui freina d'autant plus le rythme espéré des réformes anti ouvrières. En ramenant le mandat présidentiel à un quinquennat et en faisant coïncider élections législatives et présidentielles Chirac résolut la question épineuse pour la 5° République des cohabitations, d'autant que sa réélection se fit en 2002 avec l'appui de toute la gauche et de l'extrême gauche face à l'épouvantail fasciste incarné par Le Pen.
Nous l'avons dit, ces réformes attaquent généralement également tôt ou tard d'autres classes sociales comme la petite bourgeoisie et les nouvelles classes moyennes salariées. Ce fut le cas avec le fameux CPE ou Smic jeune déjà tenté par le « malheureux » premier ministre Balladur en 1993, pourtant épaulé par une police déjà particulièrement détestée (l'époque d'un ministre de l'intérieur soupçonné d'appartenir à la maffia comme Pasqua) et une justice expéditive des plus serviles (les comparutions immédiates et les incarcérations préventives ont commencé à pleuvoir). L'opposition à cette réforme tentée en 2006 par le très aristocratique De Villepin échoua face à une opposition qui, succédant aux émeutes de 2005, commençait à gagner des couches sociales de plus en plus larges malgré le sabotage en règle des syndicats « ouvriers » et de la gauche soutenue toujours par ses extrêmes gauchistes.
Ce qui suscita des remaniements au sein de la droite gaulliste et déboucha sur la fronde sarkosiène qui, après l'élection de Nicolas le bouffon hystérique au karcher, repris l'inexorable chemin des réformes inachevées auxquelles le président « normal » des « sans dents », François Hollande, apporta sa contribution des moins négligeables en termes d'attaque de la classe ouvrière. Notamment par le parachèvement de la réforme des retraites et le détricotage du droit du travail avec la loi El Khomri, du nom d'une obscure secrétaire d'Etat propulsée ministre du travail pour faire la sale besogne, avant d'aller pantoufler ailleurs.
Mais à la longue droite et gauche se sont usées et la bourgeoisie dut sortir le joker tout en évitant de dévoiler trop vite le caractère totalitaire et fasciste de sa domination, laissant encore jouer le rôle commode et toujours rappelé, de l'épouvantail fasciste au rassemblement national, d'autant que contrairement à la bourgeoisie anglaise, elle ne peut se payer le luxe d'un Frexit.
Ce fut d'une part l'élection de Macron qui en moins d'un an créa un parti prétendument au-dessus de tous les autres, à la manière bonapartiste, mais avec un contenu fasciste dont l'utilisation des ordonnances, puis l'affaire BENALLA et sa police parallèle et enfin la répression féroce du mouvement des gilets jaunes, répression qui n'ira qu'en se durcissant face à toute contestation un peu sérieuse du pouvoir bourgeois, donna un léger aperçu. Et d'autre part l'agitation d'un Parti de Gauche avec son leader charismatique de carton paille, le tragicomique Jean Luc MELANCHON venant combler le vide d'un PS à l'agonie et d'un PCF désintégré.
Le cadre politique de la 5° République n'est donc pas abandonné par la bourgeoisie française pour mener à bien la défense de ses intérêts, mais sans cesse perfectionné et renforcé en même temps que ses partis et ses divers auxiliaires syndicaux et associatifs. Ce qui n'exclut pas, et certains agitent depuis plusieurs années cette variante, en cas de grave crise politique l'alternative d'une VI° République, plus démocratique et par conséquent plus efficace en cas de menace révolutionnaire. Mais il y a fort à parier qu'une dose de proportionnelle et de Référendum d'initiative citoyenne, ou simplement partagée, suffiront pour l'instant à calmer les ardeurs des tigres de papier qui font mine de rugir contre la 5°.
Finalement, Macron et LREM n'ont fait que rejouer la partition du gaullisme sur un autre ton plus moderne et plus conforme aux exigences du moment. Par contre la réforme de l'Etat vise justement à le rendre plus efficace dans ses fonctions régaliennes et surtout à moindre coût.
Il doit fonctionner de plus en plus comme une entreprise et rationaliser ses processus (l'évolution de la comptabilité publique vers les normes de la comptabilité privée va d'ailleurs parfaitement dans ce sens). Tout cela est parfaitement conforme à l'évolution de la domination réelle du capital sur la société et sur l'Etat.
Mais le financement de cette machine de domination politique passe essentiellement par l'impôt que la bourgeoisie doit faire peser toujours plus sur les autres classes sociales pour en alléger le capital. Et c'est à ce stade que la bourgeoisie française se trouve forcée de mener à bout ses réformes qui doivent aller bien au-delà de ce qui a été entrepris jusque-là en la matière. D'autant qu'une partie croissante de cette masse d'argent que l'Etat centralise doit retourner sous toutes les formes possibles et imaginables entre les mains des capitalistes les plus puissants et les plus influents, ne serait-ce que sous la forme la plus classique de la dette publique grandissante, mais également de subventions et de marché publics attribués dans le seul but véritable d'enrichir les promoteurs d'affaires toujours plus foireuses (comme l'a si remarquablement analysé Amadeo BORDIGA) préludes aux catastrophes en série qui frappent toujours plus des populations et des secteurs toujours plus variés et étendus.
Elle doit notamment en finir avec le mode de financement et de gestion du salaire indirect et de l'impôt, car elle doit permettre au capital non seulement de s'en exonérer, mais encore de profiter de toute cette épargne au détriment des autres classes et en particulier du prolétariat, seule classe productrice de la plus-value. C'est notamment le cas avec la réforme des retraites et l'appétit grandissant des vautours à la BlackRock.
II/ Le mouvement des gilets jaunes.
Face aux agressions de plus en plus cyniques envers les couches sociales les plus défavorisées, les moins organisées et les plus atomisées du prolétariat, celles qui subissent le plus les effets des crises et des catastrophes, la réaction « populaire » de ces mêmes couches s'est manifestée en une explosion de colère à laquelle le pouvoir et les supplétifs politiques et syndicaux de ce pouvoir ne s'attendaient pas.
Ils ne s'attendaient ni à l'ampleur, ni à la durée, et encore moins à la détermination de ce mouvement et au soutien qu'il a reçu d'une grande majorité de français, semblant apercevoir dans le sort des gilets jaunes un sort qui leur était certainement promis...
Comme nous l'avons déjà évoqué, et tous les commentateurs de tous bords, chacun à sa manière l'ont souligné, qui pour en tirer prétexte à dénigrement, qui pour en glorifier le caractère « populaire » … le mouvement des gilets jaunes n'est pas sociologiquement ni politiquement monolithique.
Pour tenter de clarifier cette question de la nature du mouvement des gilets jaunes, nous pouvons nous appuyer sur trois aspects de ce mouvement :
- La composition sociologique (si tant est que l'on possède des chiffres fiables à ce sujet tout en sachant qu'elle est poly-classiste)
- La nature des revendications (et là encore elles sont l'émanation des intérêts de classes différentes pouvant être communs ou antagonistes, convergents ou divergents).
- La forme et les moyens d'action adopté par le mouvement (ce qui en soi ne peut pas permettre de définir sa nature de classe).
C'est du rapport étroit entre les trois aspects et de la dynamique même du mouvement que l'on peut en définitive tirer une vision qui ne soit pas liée à un simple ressenti de classe au sujet de la nature de ce mouvement social. Il faut y ajouter la nature même des réponses apportées par la bourgeoisie, son Etat et son gouvernement, avec sa ribambelle de spécialistes et d'enfumeurs.
1/ Les différentes couches sociales qui se sont spontanément mobilisées s'opposaient principalement à deux mesures gouvernementales : l'augmentation des taxes sur le carburant, et la limitation de vitesse à 80km/heure sur un nombre de tronçons routiers jusque-là limités à 90km/heure. Mais l'augmentation de la CSG pour les retraités et la diminution de 5€ des allocations logement furent également parmi les déclencheurs. On peut constater que Macron et son premier ministre n'ont pas hésité une seconde à tenter de reporter cette mesure des plus impopulaires sur les propriétaires fonciers appelés à diminuer d'autant le prix des loyers... ravivant encore la contradiction insurmontable entre capital et propriété foncière, en présentant ceux-ci comme les véritables profiteurs de la misère in fine.
Avant d'aborder les revendications de ce mouvement et l'analyse de leur nature de classe, nous voulons répondre à la question du point commun entre toutes ces mesures apparemment hétéroclites. Apparemment, car si l'on y regarde de plus près elles affectent toutes le niveau de vie et le pouvoir d'achat de couches sociales les plus défavorisées et les plus pauvres, parmi lesquelles les plus basses couches de la petite bourgeoisie (certains petits artisans et commerçants, de petits employés et paysans) mais en majorités les plus basses couches du prolétariat (petits retraités, travailleurs précaires dont une masse grandissante d'autoentrepreneurs et de travailleurs indépendants ubérisés, chômeurs de longue durée, femmes isolées avec enfants, petits salariés célibataires et jeunes sans emploi).
Or ce sont bien ces mêmes couches des mêmes classes sociales qui se sont principalement et majoritairement mobilisées dès le mois de Novembre 2018. Et plus particulièrement celles des milieux provinciaux ruraux et périurbains. Ce qui explique que la mesure visant à réduire la vitesse sur le réseau routier ait pu fédérer ces mêmes couches sociales, rallongeant d'autant plus le temps passé sur la route pour se rendre sur les lieux de travail ou de services publics ou privés toujours plus rares et éloignés. D'autant que les autres mesures et réformes en cours depuis des années ne cessent d'éloigner ceux-ci des lieux d'habitation d'un nombre croissant de travailleurs et réduisent drastiquement les autres modes de transport comme le ferrovière.
L'augmentation programmée des taxes sur le carburant attaquait bien ces mêmes couches sociales forcées à effectuer de nombreux kilomètres quotidiens en voiture, renchérissant sans cesse le coût de ces transports (et ce n'est pas seulement le carburant mais encore les assurances, les entretiens, les réparations et les contrôles techniques des véhicules qui le renchérissent, ces derniers se durcissant et leur coût se renchérissant, et enfin les amendes de police).
On peut donc déjà déceler le caractère sociologiquement marqué du côté du prolétariat du mouvement. Mais également la présence massive des femmes y compris dans les représentations qu'il s'est donné révèle ce caractère, comme dans tous les mouvements sociaux prolétariens les femmes furent souvent à l'origine du déclanchement.
2/ Les revendications de justice fiscale et de pouvoir d'achat.
En ce qui concerne les revendications de plus grande justice fiscale nous avons déjà indiqué dans la première partie, contrairement à ce que pensent nos ultrarévolutionnaires, en quoi elle concerne bien la classe ouvrière et la défense de la valeur de sa force de travail. Et surtout en quoi les impôts indirects et les taxes de toute sortes lui sont préjudiciables par rapport à l'impôt direct et surtout progressif (ceci est défendu par Marx dans le Manifeste de 1848). Il en est de même de la question du salaire différé qui est au cœur des différentes réformes de la sécurité sociale et des régimes de retraite.
Nous rappellerons tout d'abord ce qu'en disait Marx en 1847 dans « La critique moralisante et la morale critique » à l'encontre de Karl HEINZEN, un représentant d'une des variantes du socialisme petit bourgeois :
« Au point de vue matériel, la monarchie, comme toute autre forme de gouvernement, n'existe directement pour la classe ouvrière que sous forme d'impôts. Les impôts sont l'expression économique de l'existence de l'Etat. Fonctionnaires et prêtres, soldats et danseuses, maîtres d'écoles et agents de police, musées grecs et tours gothiques, liste civile et hiérarchie sociale : l'embryon commun où sommeille toutes ces existences fameuses, ce sont les impôts. »
Nous soulignons « comme toute autre forme de gouvernement » car les formes plus spécifiquement bourgeoises font également peser sur la classe ouvrière le poids des impôts même si chaque clique qui vise la direction de la machine administrative de l'Etat jette à la figure de l'autre l'excès de fiscalité et la mauvaise gestion, voire la dilapidation, de ses recettes par des dépenses pharaoniques ou des enrichissements privés ou même personnels (les innombrables et indéfinies affaires qui touchent les partis politiques bourgeois et les parlementaires jusqu'à l'affaire Cahuzac et l'affaire Fillon pour ne citer qu'elles parlent d'elles-mêmes). Et Marx poursuit :
« Et quel bourgeois raisonneur n'aurait pas attiré l'attention du peuple mourant de faim sur les impôts, l'argent mal acquis des princes comme la source de sa misère ?
Les princes allemands et la détresse allemande ! En d'autres termes, les impôts avec lesquels les princes font la noce et que le peuple paie en suant sang et eau !
Quelle matière inépuisable pour tous ces hâbleurs, sauveurs de l'humanité !
La monarchie occasionne beaucoup de frais. Sans doute. Voyez donc le budget des Etats-Unis et comparez ce que nos 38 patries minuscules ont à payer pour être administrées et réglementées ! » (p.111 éditions Spartacus)
On le voit ce type de démagogie ne date pas d'hier et les prolétaires même sous gilet jaune devront s'en vacciner s'ils veulent mener leur propre politique et ne pas tomber sous la coupe de nouveaux démagogues.
En réalité la bourgeoisie ne peut pas se passer des impôts et doit de toute manière chercher à les faire peser au maximum sur les autres classes de la société à commencer par la classe ouvrière.
Poursuivons avec Marx qui expose le point de vue des économistes bourgeois :
« Aux récriminations bruyantes de cette démagogie prétentieuse ce ne sont pas les communistes qui répondent, mais les économistes bourgeois, tel que Ricardo, Senior. Et cela en deux mots.
L'existence économique de l'Etat ce sont les impôts.
L'existence économique des travailleurs c'est le salaire.
Il s'agit de déterminer le rapport entre les impôts et le salaire. »
(La critique moralisante et la morale critique p.112 ed Spartacus
Marx aborde alors la question des rapports entre l'impôt et le salaire :
« Le salaire moyen est, par la concurrence, nécessairement réduit au minimum, c'est-à-dire à un salaire qui permet aux ouvriers d'assurer tant bien que mal leur existence et l'existence de leur race. Les impôts constituent une fraction de ce minimum, car la vocation politique des ouvriers consiste précisément à payer des impôts. Si l'on supprimait radicalement tous les impôts qui pèsent sur la classe ouvrière, la conséquence nécessaire en serait que le salaire serait diminué de tout le montant des impôts qui y entre aujourd'hui. Et alors de deux choses l'une : ou bien le profit des employeurs croîtrait immédiatement dans la même mesure, ou bien il n'y aurait eu qu'une simple modification dans la « forme » de la perception de l'impôt. Au lieu d'avancer directement, comme il le fait aujourd'hui, dans le salaire les impôts que l'ouvrier doit payer, il ne les paierait plus par cette voie détournée, mais directement à l'Etat. »
(« La critique moralisante et la morale critique » Karl MARX)
C'est alors la retenue à la source que la bourgeoisie française a finalement adoptée. Et celle-ci permet de faire certaines économies budgétaires dans les services des Finances Publiques tout en accélérant les rentrées de recettes. Là encore cette mesure fait empirer la situation des prolétaires les plus précaires et plus particulièrement ceux des zones rurales et périurbaines dans la mesure où elle s'accompagne d'une accélération de la fermeture des services de proximité et rend encore plus difficile l'obtention de délais de paiement. Mais cette mesure heurte évidemment de plein fouet les petits patrons dont les charges comptables vont augmenter et les travailleurs improductifs des services concernés dont les effectifs vont diminuer et leurs tâches s'intensifier.
Toutefois les gilets jaunes ont su rattacher ces questions à celle plus générale du pouvoir d'achat et par conséquent de l'augmentation des salaires, des retraites et des allocations et obtenir le soutien, passif il est vrai d'une majorité de citoyens, rendant ainsi la tâche de la bourgeoisie et de son comité exécutif plus difficile.
Dans tous les cas et de toutes les manières possibles la bourgeoisie cherchera à diminuer sa part des impôts pour augmenter son profit.
Les réactions des gilets jaunes, tout en coïncidant avec une réaction de certaines couches de la classe ouvrière aux attaques de la bourgeoisie catalysaient nécessairement celles d'autres couches sociales sur ces sujets. Mais d'une manière générale, même si le caractère prolétarien de ce mouvement n'a pas abouti à une claire conscience de classe et s'il est resté prisonnier d'une dynamique chaotique et pluri-classiste, « populaire », il a été clairement prédominant.
3/ Les revendications politiques.
En passant de revendications immédiates, économiques et sociales à des revendications politiques, les gilets jaunes ont renoué spontanément d'une certaine manière avec la tradition des grèves de masses.
Il est facile de critiquer la naïveté de ceux qui pensent contrôler le pouvoir politique bourgeois entièrement et réellement dominé par le capital à l'aide du gadget démocratique du RIC, par ailleurs parfaitement compatible avec la république bourgeoise en Suisse, pays de la finance reine... Mais il faut voir derrière cette revendication, un début de rupture avec la forme du pouvoir politique de la bourgeoisie et la mystification démocratique à un niveau encore tout à fait embryonnaire, c'est-à-dire à un niveau encore purement formel. La critique des gilets jaunes envers l'Etat bourgeois ne touche encore qu'à la forme, mais il a le mérite de dépasser le simple cirque électoral de la démocratie représentative, dans lequel les partis de gauche et d'extrême gauche cherchent à enfermer généralement le prolétariat, pour chercher d'autres voies, même si celles-ci demeurent encore empêtrées dans la démocratie, fusse-t-elle une démocratie directe.
Evidemment, le populisme ambiant a pu aisément soutenir ce genre de revendication dans la mesure ou elle ne touche pas au pouvoir réel de l'Etat bourgeois. Mais la défiance grandissante des prolétaires envers les partis politiques bourgeois n'épargne pas les populismes qui ne sont toutefois pas parvenus à récupérer le mouvement à leur profit, malgré des tentatives évidentes.
D'autre part la répression qui s'est abattue sur le mouvement ne pourra que renforcer l'opposition à l'Etat. Mais le chemin est encore long jusqu'à l'idée du contre-pouvoir, de l'insurrection et de la dictature du prolétariat. Il faudra que ce type de mouvement s'étende d'abord aux catégories centrales du prolétariat et que celui-ci se constitue en classe et en parti autonome et opposé à tous les autres, d'une manière ou d'une autre. Or par lui-même ce mouvement n 'en est pas encore porteur et ne peut pas l'être du fait des conditions mêmes de la lutte des classes telles qu'elles prédominent encore et de ses propres faiblesses.
Une des forces du mouvement des gilets jaunes a résidé dans le fait qu'il ne s'est pas développé dans le carcan syndical ni même en marge de celui-ci mais complètement en dehors. Ceci tient à la nature même des catégories sociales qui se sont mobilisées (pour l'essentiel : retraités, chômeurs et précaires, travailleurs uberisés, autoentrepreneurs et petits artisans au bord de la faillite). De ce fait il ne pouvait pas être question de récupération ou manipulation syndicale, et tout le monde a pu constater l'impuissance de ces organisations de contrôle des mouvements sociaux de salariés vis-à-vis de ce mouvement, voire le simple dénigrement de celui-ci.
Ces mêmes catégories étant généralement situées en dehors de l'entreprise, ou marginales, ou bien gérant elles-mêmes des microentreprises en faillites ou en voie de le devenir, ne pouvaient pas non plus être enfermées dans ce cadre. Leur manifestation ne pouvait déboucher que sur la rue et la confrontation avec le reste de la société et avec l'Etat.
Comme elles ne se sentent plus représentées politiquement, l'encadrement politique faisait également défaut. Et si les seuls partis qui peuvent avoir un certain écho auprès de certains gilets jaunes sont les partis populistes, plutôt de droite (RN) que de gauche (LFI), le mouvement des gilets jaunes dans son ensemble a suivi sa propre dynamique chaotique et entêtée.
Ainsi en l'absence du traditionnel encadrement syndical et politique les revendications des gilets jaunes se sont rapidement portées d'elles-mêmes du terrain économique et social au terrain politique. Ce qui ne signifie pas que ces revendications dépassent pour autant les limites du cadre imposé par l'Etat et ses organes législatifs comme exécutifs ou judiciaires. Autrement dit que le mouvement ait abouti à des revendications de nature révolutionnaire. Mais qu'il n'est pas resté enfermé dans de simples revendications immédiates.
De ces caractéristiques découlent une conséquence qui a déterminé la radicalité du mouvement : les manifestations ont échappé à la collaboration entre l'Etat et les organisations syndicales et politiques qui sont censées les encadrer. Leur parcours et leurs objectifs ont déviés des parcours et objectifs habituels et inoffensifs voire démoralisants à l'écart des centres de pouvoir et de décision. (Voir la carte du Monde diplomatique du mois de Février 2019).
La réponse essentiellement répressive du gouvernement face à un mouvement incontrôlé et imprévisible n'a fait que le radicaliser et pousser même les plus pacifistes à chercher à se défendre. De fait, la pratique des black-blocs, visant à détourner une manifestation de son parcours programmé avec la préfecture et encadré par les services d'ordre des organisations légales, vers un autre objectif, devenait inhérente à la totalité des manifestants et constituait une menace pour l'ordre bourgeois, surtout le risque de contagion n'était pas négligeable étant donné l'ampleur des attaques contre la classe ouvrière dans son ensemble et les sondages favorables aux gilets jaunes.
Une manifestation incontrôlée de centaines de milliers de manifestants, même sans objectif politique déterminé, en plein cœur de Paris, à proximité des centres de pouvoir, ne pouvait qu'entraîner une répression sans précédents depuis Mai 68 dont on venait justement de commémorer les 50 ans ! Or c'est bien au mois de Mai 2018 que cette répression avait déjà dépassé les limites des manifestations habituelles avec l'intervention notamment de la police parallèle de Macron sous les ordres de BENALLA et bien avant dès les attentats djihadistes de 2015 que des lois anti-terroristes permettaient toutes sortes de suspensions des libertés démocratiques et une répression accrue. Désormais, outre l'arsenal habituel de la gendarmerie et des CRS, avec ses gaz lacrymogènes, ses canons à eau, ses grenades défensives et offensives, et ses flashballs, on a vu apparaître des fusils d'assaut et des véhicules blindés de l'armée. Mais c'est surtout l'utilisation massive de la BAC comme force de répression des mouvements sociaux qui est notable. Pour la bourgeoisie les manifestants sont désormais considérés et traités comme des criminels.
Une telle répression n'a pu que dévoiler la nature véritable de l'Etat démocratique et Républicain à des manifestants peu habitués aux pratiques de l'exécutif sans toutefois leur laisser mécaniquement percevoir une véritable alternative politique. Les classements sans suite face aux différentes plaintes les éclaireront également sur la nature de l'appareil judiciaire et de la justice en général dans la société bourgeoise et la démocratie achevée (tout au moins dans ces grandes lignes). L'opposition classique entre démocratie représentative et démocratie directe reste enfermée dans le carcan démocratique où la bourgeoise domine haut la main et reprend facilement le contrôle grâce à son écrasante supériorité économique et sa domination de tous les grands organes de presse et médias audio-visuels jusqu'à l'Internet. Sous la forme gentillette du RIC elle laisse entièrement intact l'Etat constitué. Sans oublier que la démocratie directe demeure également empêtrée dans le marais des classes petites bourgeoises, nouvelles classes moyennes et petite bourgeoisie traditionnelle, dont les intérêts oscillent toujours entre bourgeoisie et prolétariat.
La voie révolutionnaire qui mène au renversement du pouvoir de la bourgeoisie doit aboutir à la destruction de l'Etat du capital et à la constitution d'un Etat prolétarien, la dictature du prolétariat, duquel la bourgeoisie et les propriétaires fonciers seront exclus et l'influence des classes moyennes et sans avenir historique limité. Il ne s'agira donc pas d'un Etat démocratique proprement dit, car elle exclue une partie du peuple et limite les droits d'une autre jusqu'à ce que les privilèges économiques de classe, la propriété privée capitaliste et tout danger de restauration de l'ordre bourgeois soient définitivement écartés. Cette forme de pouvoir est au contraire immédiatement en rupture avec la démocratie et sa mystification. Elle initie la dissolution des classes sociales et la constitution d'une nouvelle communauté humaine.
Sans entrer dans les questions que peuvent soulever les différentes tentatives historiques de la commune de Paris à la Révolution d'Octobre 1917, il faut aussi souligner que les organes d'un Etat prolétarien procèdent autant de la décision collective en assemblées que de la délégation de pouvoir au travers de représentants élus et révocables, et qu'il possède un gouvernement. Par conséquent il ne s'agit pas seulement d'une question de forme mais surtout de contenu. Il ne s'agit pas de choix entre démocratie représentative et démocratie directe, ou entre deux formes de l'Etat, mais entre Etat capitaliste et Etat ouvrier, entre répression contre la classe ouvrière ou contre la bourgeoisie et les propriétaires fonciers.
Dans l'Etat prolétarien, armée, police et justice doivent être organisés par les prolétaires eux-mêmes et pour leur propre protection et répression des tentatives réactionnaires des classes écartées du pouvoir.
L'Etat prolétarien se distingue également en ce qu'il doit réduire d'emblée le train de vie de ses représentants en le ramenant au niveau du pouvoir de consommation moyen des ouvriers (voir les mesures de la Commune de Paris en 1871).
Enfin, en tant qu'organe de classe, dans la mesure où il doit essentiellement abolir les classes il s'abolira lui-même. Il n'est déjà plus qu'un demi Etat.
Il faut souligner dans la question soulevée par le mouvement des gilets jaunes au sujet de l'Etat et de la démocratie, que dès le début, le simple fait pour des individus jusque-là atomisé de se retrouver et de retrouver une véritable convivialité et même pour certains tout simplement une socialité, leur est apparu comme essentiel. Ceci rappelle ce que disait Marx au sujet des prolétaires qui se retrouvaient dans les premières organisations ouvrières et pose la dimension de la communauté humaine face à l'Etat qui représente la communauté du capital. Et c'est également ce qui a certainement transmis l'énergie qui a permis à ce mouvement de ne pas s'essouffler rapidement et ainsi, malgré la répression féroce de faire reculer Macron.
« Mais l'être collectif dont le travailleur est isolé est un être collectif d'une tout autre réalité, d'une tout autre ampleur que l'être politique. L'être collectif dont le sépare son propre travail, est la vie même, la vie physique et intellectuelle, les mœurs humaines, l'activité humaine, la jouissance humaine l'être humain. L'être humain est le véritable être collectif des hommes. De même que l'isolement funeste de cet être est incomparablement plus universel, plus insupportable, plus terrible, plus rempli de contradictions que le fait d'être isolé de l'être collectif politique ; de même la suppression de cet isolement – et même une réaction partielle (c'est nous qui soulignons), un soulèvement contre cet isolement – a une ampleur beaucoup plus infinie, comme l'homme est plus infini que le citoyen et la vie humaine que la vie politique. » (Gloses marginales critiques à l'article « Le Roi de Prusse et la réforme sociale par un prussien » Karl Marx p.88 éditions Spartacus)
C'est donc une des raisons de la détermination dans la durée de ce mouvement, et qui a fait sa principale force, alors que le pouvoir attendait que celui-ci s'épuise de lui-même.
Toutefois il faut également rappeler les nombreuses faiblesses et limitations de ce mouvement, outre la question de la démocratie, qui a fini par se réduire et se diviser au point de ne plus guère effrayer la bourgeoisie, son Etat et son gouvernement, même si une résurgence, quoique selon nous sous une autre forme et avec une autre ampleur, est inévitable face à la crise, ses conséquences et les attaques renouvelées du capital.
Le mouvement des gilets jaunes est resté malgré tout limité sur le plan numérique. Même s'il avait une opinion majoritaire qui lui était favorable, il est demeuré isolé vis-à-vis de cette majorité et surtout du cœur même du prolétariat industriel. Ce dernier continuant à se laisser mener par les syndicats qui les opposaient nécessairement aux gilets jaunes. Les catégories qui composaient le gros de ses troupes étaient en partie inactive comme les retraités ou inemployées comme les chômeurs, la plupart relativement atomisés comme les travailleurs précaires, les ubérisés et les autoentrepreneurs ou les petits artisans. Dans l'ensemble ils étaient peu concentrés et plutôt décentralisés en province et dans le milieu rural et la périphérie des villes de province. D'où l'utilisation privilégiée des réseaux sociaux sur internet. Cet isolement et sa faiblesse numérique ont favorisé son manque d'autonomie vis à vis des influences petites bourgeoises en son sein. Notamment le caractère patriotique (drapeau français et une certaine influence des idées populistes de droite comme de gauche, etc). Mais encore ses illusions démocratiques comme nous l’avons déjà souligné.
Pour l'ensemble de ces raisons et en l'absence d'une extension vers le prolétariat actif et employé des grandes concentrations urbaines et industrielles ce mouvement ne pouvait que s'épuiser. Or il semble qu'il n'y ait pas eu de véritables velléités de rechercher une telle extension en allant faire de l'agitation. Lorsque certains gilets jaunes ont rejoint d'autres prolétaires ce fut dans... les cortèges syndicaux, alors que d'autres retournaient sur les ronds-points et d'autres encore se laissaient séduire par les pleurnicheries écologistes.
Ce mouvement pâtissait enfin d'une absence d'expérience de lutte, de nombreux gilets jaunes manifestaient pour la première fois... D'où également leur impréparation vis-à-vis des forces de répression.
III/Les communistes
« (…) le fait du développement de l'industrie moderne doit progressivement incliner la balance en faveur du capitaliste et contre le travailleur ; par voie de conséquence, la production capitaliste tend généralement à rabaisser, et non point à relever, l'étalon moyen des salaires, c'est-à-dire à repousser plus ou moins la valeur du travail vers sa limite minimale. Si telle est la tendance des choses dans ce système, est-ce à dire que la classe travailleuse doive renoncer à toute résistance contre les empiètements du capital ; faut-il, abandonnant l'idée d'en tirer parti, qu'elle laisse passer les occasions d'une amélioration passagère ? Une telle résignation dégraderait les travailleurs, nivellerait la masse de ces meurt-de-faim, de ces écrasés désormais incapables de salut. Je crois avoir montré que les luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système des salaires dans son ensemble, que dans 99 cas sur 100, les travailleurs, en s'efforçant de relever les salaires, s'évertuent tout simplement pour soutenir la valeur donnée du travail, que la nécessité de débattre de leur prix avec le capitaliste est inhérente à leur condition, qui les contraint de se vendre comme des marchandises. Lâcher pied sans courage, dans ce conflit de chaque jour avec le capital, ce serait perdre la faculté de se lancer un jour dans un mouvement plus vaste. »
(« Salaire, prix et plus-value » Karl MARX La pléiade Economie I p. 532)
Jusqu'à preuve du contraire, et bien que le MPC soit aujourd'hui bien plus développé qu'à l'époque de l'AIT, et que la domination réelle du capital sur la société ait fait de considérables progrès dans l'aire occidentale, les travailleurs restent soumis aux impératifs de la lutte quotidienne et ne peuvent lâcher prise sous peine de perdre toute possibilité de lutte de plus grande envergure.
Les communistes qui méprisent ces luttes au nom de l'idéal révolutionnaire ne sont en fait que des doctrinaires coupés des réalités prolétariennes, méconnaissant le B-A BA du marxisme :
« Rien ne nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la politique, et de prendre parti dans la politique, donc de participer à des luttes réelles et de nous identifier à elles. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires avec un nouveau principe : voici la vérité, mettez-vous à genoux ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes du monde. Nous ne lui disons : renonce à tes luttes, ce sont des bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu'il doit acquérir, quand même il s'y refuserait. » (Marx à Ruge Septembre 1843 ed Spartacus)
Si l'on veut comprendre vers quoi tendent les luttes contemporaines, comme celles des gilets jaunes, il faut partir de ces principes depuis longtemps établis scientifiquement par le marxisme et se demander dans quelles conditions elles peuvent déboucher sur « un mouvement plus vaste ».
Mais même si un tel mouvement ne parvient pas à dépasser ses limites intrinsèques il n'y a aucune raison d'un point de vue communiste pour en contester le bienfondé au prétexte qu'il ne serait pas purement prolétarien et encore moins révolutionnaire. Les communistes doivent critiquer ses limites et montrer la voie qui mène à leur dépassement. Mais ils ne pourront pas créer de toute pièces les conditions qui permettrons aux prolétaires de se reconstituer en classe et en parti. Comme le proclamait l'AIT, la première internationale, « l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Nous rappellerons ici également le Manifeste communiste :
« Quelle est la position des communistes vis-à-vis des prolétaires en général ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers.
Ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat dans son ensemble.
Ils ne posent pas de principes particuliers d'après lesquels ils prétendent modeler le mouvement prolétarien.
Voici ce qui distingue les communistes des autres partis prolétariens :
d'une part, dans les diverses luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts communs du prolétariat tout entier, sans considération de nationalité ; d'autre part dans les diverses phases de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, ils représentent toujours l'intérêt du mouvement dans son ensemble.
Pratiquement les communistes sont donc la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l'avant ; du point de vue théorique, ils ont sur le reste de la masse prolétarienne l'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier.
Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination de la bourgeoisie, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne font qu'exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d'une lutte de classe qui existe, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux. »
(« LE MANIFESTE COMMUNISTE » chapitre II « Prolétaires et Communistes »)
Avec la crise économique qui s'est télescopée avec la crise sanitaire, cette dernière venant précipiter la première et mystifier l'origine antérieure et réelle de la crise, la bourgeoisie française a déjà pris les devant et transformé la République en forteresse capitaliste dotée de nouvelles armes législatives et exécutives pour parer à un éventuel retour de la crise sociale et de la lutte prolétarienne. Le confinement et les lois dites d'urgence sanitaire lui ont permis de tester à l'échelle réelle une dictature ouverte, partiellement consentie il est vrai dans ces circonstances particulières, mais qui demain s'imposera contre toute révolte contre l'ordre établi. L'ensemble des mesures testées vont bien au-delà en réalité des besoins supposés face à la pandémie de covid19 et se surajoutent à celles déjà enterrinées sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Mais la bourgeoisie française connaît mieux sa propre histoire que nos révolutionnaires, et met déjà en place une série de mesures économiques, sociales et politiques afin d'amortir le choc et de préparer la reprise d'un nouveau cycle. Parmi ces mesures, la pérennisation et généralisation du télétravail pour plus d'un tiers des salariés afin de renforcer leur atomisation. Cette mesure déjà expérimentée auparavant à plus petite échelle, permettra également une plus grande exploitation des productifs et une diminution du coût des improductifs. Pour les deux tiers restants, la flexibilité et le chômage partiel à des conditions de moins en moins avantageuses deviendront la règle. L'allongement de la durée du travail est d'actualité, complétant l'allongement de la durée d'activité par les réformes successives des retraites. Les plans de licenciement purs et simples toucheront tous les secteurs et tous les types d'entreprise. Enfin les mesures de durcissement des conditions de chômage vont affecter des couches sociales de plus en plus larges, qui, associées aux faillites en chaîne des micro et auto entreprises, ainsi que des PME, vont précipiter une masse de travailleurs, prolétaires, petits bourgeois et salariés des nouvelles classes moyennes dans la paupérisation. La pression sur les salaires, la durée et les conditions générales du travail pencheront d'autant plus en faveur de la bourgeoisie. Avec une certaine généralisation du travail précaire et flexible, une augmentation de la durée et de l'intensité du travail, et une réduction du coût de la machine d'Etat, elle espère remonter la pente et le taux de profit. C'est aussi l'amélioration de sa compétitivité sur le marché mondial qu'elle espère obtenir ainsi, autre volet pour fuir la surproduction et contrecarrer la baisse du taux de profit. Ce qui suppose un accompagnement militaire conséquent et la multiplication des opérations militaires extérieures, autrement dit un renforcement de la politique impérialiste et militariste de la France.
Durant le confinement, la répression des récalcitrants n'a pas faibli et la police a pu développer l'utilisation des drones de surveillance. La collaboration entre les divers corps de l'exécutif s'est organisée en vue de la répression d'un mouvement social de plus grande ampleur que celui des gilets jaunes et a commencé à tester des applications de contrôle de la population via les téléphones portables. Si celles-ci existaient déjà de manière plus ou moins légales, désormais elles ont obtenu l'aval démocratique du conseil constitutionnel, du parlement et même de la CNIL. Le modèle chinois inspire la bourgeoisie occidentale alors que l'espionnage de la population est généralisé aux Etats-Unis depuis des années.
Les réformes qui ont été momentanément repoussée vont s'accélérer et la bourgeoisie s'attend à des réactions qui pourraient bien s'inspirer des points forts du mouvement des gilets jaunes et qui toucheraient alors des catégories sociales plus nombreuses et plus centrales. Un tel mouvement pourrait également dépasser dès lors les limitations nationales du fait de la situation internationale bouleversée par une crise économique sans précédent et troquer le drapeau tricolore contre le drapeau rouge.
C'est la raison pour laquelle, ne pouvant se contenter d'une politique de répression, elle doit préparer une politique de prévention et chercher à renforcer la mystification démocratique.
Macron et LREM commencent à sentir le vent tourner : mouvement des gilets jaunes, crise économique, gestion calamiteuse de la crise sanitaire, perte de la majorité absolue à l'assemblée, défaite cuisante aux élections municipales de 2020, abstention record qui touche désormais la majorité des citoyens...
De ce fait la stratégie macronienne semble s'orienter vers la récupération de l'écologie politique (les Verts ayant remporté les élections municipales après leur percée aux européennes, et les manifestations écologistes s'étant multipliées au point d'estomper les manifestations syndicales et celles des gilets jaunes). Macron espère ainsi faire d'une pierre deux coups : récupérer ce mouvement à son profit et le relier au programme industriel concocté avec le Medef et les grands groupes capitalistes (automobiles et énergie, notamment nucléaire qui se profile derrière le tout électrique) ; détourner le mécontentement ouvrier vers cette impasse interclassiste totalement pipée et le piéger ainsi.
Il est probable que d'autres mesures démocratiques seront concédées, comme plus de proportionnelle et des référendums populaires, ainsi que le fameux revenu universel qui se substituera aux différentes allocations sociales et sera financé certainement par une taxation sur les actifs et les propriétaires fonciers. De ce fait certaines revendications des gilets jaunes seraient satisfaites et la mystification démocratique, surtout sous la forme de la démocratie sociale serait renforcée et le procès de réunification de la classe révolutionnaire sinon enrayé tout au moins rendu plus difficile.
Les communistes doivent reconnaître et appuyer les mouvements et les revendications prolétariennes mais ils doivent surtout mettre en avant les perspectives et la nécessité de dépassement de leurs limites et de leurs illusions. Ils doivent travailler non seulement à l'extension de ces mouvements mais encore à leur autonomisation vis-vis des autres classes sociales et des organisations politico syndicales et associatives depuis longtemps passées dans le camp de la bourgeoisie.
Par ailleurs, leur rôle, même si celui-ci ne peut suppléer au mouvement de la classe elle-même, ne peut pas se limiter à cela, car il leur revient avant tout de prévoir et anticiper les situations et élaborer la stratégie et la tactique révolutionnaires en fonction de ces prévisions. Ce n'est que de cette manière qu'ils pourront travailler dans le sens de la réunification du prolétariat en classe et en parti révolutionnaire.
Or la plupart des composantes de ce milieu, ultra réduit sur le plan numérique et divisé en micro-sectes opposées les unes aux autres, rendant improbable une quelconque intervention consciente et organisée dans la lutte directe entre les classes, ne travaille pas dans ce sens et tourne même le dos au travail théorique indispensable pour se vautrer dans l'activisme et l'immédiatisme. Pour la plupart ces micro-sectes ont largement renié le marxisme et pataugent dans le révisionnisme, ou bien se contentent d'une caricature de marxisme. Totalement coupées du prolétariat et essentiellement composées d'éléments provenant des nouvelles classes moyennes et du milieu universitaire, elles se sont opposées, dans leurs publications, au mouvement des gilets jaunes et l'ont traité de tous les noms d'oiseau. Attendre le mouvement purement prolétarien qui surgira magiquement de l'effondrement final automatique du capitalisme, telle est paradoxalement leur crédo et leur nouvelle religion
ur modifier.
I/Capitalisme et lutte des classes : Le cas de la bourgeoisie française.
1/ La lutte des classes tout comme les révolutions qu'elle engendre n'est jamais pure. Elle découle des contradictions mêmes du mode de production, et surtout de la contradiction fondamentale entre le développement des forces sociales de production et les rapports sociaux déterminés d'un tel mode de production qui correspondent aux intérêts de la classe dominante qui l'incarne.
En l'occurrence sur la base du mode de production spécifiquement capitaliste cette contradiction pousse la bourgeoisie à accroître sans cesse l'exploitation de la force de travail en la dévalorisant. C'est-à-dire qu'elle ne peut continuer à développer les forces productives dans le cadre déterminé de ces rapports étroits correspondants à ses intérêts de classe qu'en dévalorisant la force de travail.
Le moyen principal de cette dévalorisation qui permet l'augmentation de la plus-value relative passe par la diminution de la valeur des marchandises qui entrent dans la consommation des ouvriers. Si le capital rencontre quelques limites à ce procédé, il doit s'attaquer au salaire et se heurter directement à la classe ouvrière.
Avec la généralisation du salariat de telles attaques atteignent également les nouvelles classes moyennes salariées qui constituent des faux frais du capital. Ce faisant la bourgeoisie s'attaque à plusieurs classes aux intérêts eux-mêmes contradictoires tant économiquement qu'historiquement, mais qui peuvent momentanément converger.
L'accroissement de la valorisation du capital peut également être obtenue par la diminution des impôts qui limitent la plus-value. Ceux-ci sont nécessaires au financement de la machine d'Etat qui garantit le maintien du système dans son ensemble, sa cohésion, et sa défense contre les autres Etats dans la concurrence sur le marché mondial, et contre les révoltes des classes dominées, principalement de la classe exploitée : le prolétariat. Dans son aspect de maintien de la cohésion sociale et de gestion des infrastructures collectives et de l’environnement l’Etat soumis aux intérêts du capital prend nécessairement la forme bourgeoise de certains services publics dont aucune société ne peut se passer, mais qui dans la communauté du capital deviennent la proie de l’affairisme et de l’entreprise privée ou publique, avec recherche du maximum de profit. D’où l’économie de la catastrophe qui règne dans ces domaines comme dans tous les autres. De ce fait la rationalisation de la machine d’Etat ne peut aboutir à une réduction de l’Etat qui prend toujours plus d’ampleur et dont la charge ne peut être diminuée de façon absolue mais seulement relative. La domination réelle du capital sur la société impose à la bourgeoisie un Etat toujours plus pléthorique et des budgets éléphantesques toujours plus voraces. Le pays du plus grand libéralisme étant également celui qui entretien l’Etat le plus surdimensionné : les Etats-Unis ! Le capital a besoin de cet Etat totalitaire pour sa domination réelle de l’ensemble de la société et son rôle régulateur de l’économie. L’Etat fonctionne alors pleinement au service du capital en général et les fractions de la bourgeoisie les plus influentes cherchent à en tirer le maximum de profit en promouvant un personnel politique qui lui sera soumis et fera pencher le bureaucrate de service en faveur de ses affaires. Affaires d’autant plus lucratives qu’elles seront en partie subventionnées par l’Etat.
Si la bourgeoisie ne peut se permettre de risquer un affaiblissement des fonctions régaliennes de cet organe qui lui est indispensable, elle peut toutefois chercher à le rendre plus efficace à moindre coût, en le rationalisant mais également en s'attaquant au revenu des fonctionnaires et en limitant leur nombre. Certaines opérations peuvent être transférées à des entreprises capitalistes comme dans l’armée, la police et la justice ou la comptabilité publique. Ces ministères et leurs administrations ont de plus en plus recours à l’externalisation et aux contractuels.
Elle peut également réduire voire supprimer en les transférant à des capitaux privés la plupart des services publics. Transformer les services publics en services marchands desquels le capital peut retirer un profit est nécessairement une tendance qui rencontre des limites car ceux-ci ne sont généralement rentables pour les capitaux que si l’Etat supporte le poids financier du capital fixe.
Enfin elle peut faire peser l'impôt plus lourdement sur les autres classes, y compris sur les propriétaires fonciers avec lesquels elle s'allie régulièrement contre le prolétariat. Le transfert de la rente foncière à l'Etat afin de le financer fait partie des mesures envisagées par une fraction radicale de la bourgeoisie industrielle au moins depuis RICARDO.
Là encore la lutte met en jeu les différentes classes de la société dont les intérêts antagonistes se mêlent et s'opposent sous la poussée des contradictions antagonistes du système capitaliste, rendant les mouvements sociaux plus ou moins pluri et interclassistes jusqu'à un certain point ou la différenciation de classe devient inéluctable.
2/ La bourgeoisie de tous les pays où le capital domine réellement la société doit donc accentuer l'offensive de classe et s'attaquer à ce qu'elle avait été forcée de concéder, ce qu'elle légitime en invoquant la nécessité des réformes, surtout depuis que les crises cycliques ont de nouveau dépassé le stade de simples récessions auxquelles le capital était parvenu à les réduire momentanément après la deuxième guerre mondiale. Tout comme elle adopte une forme de planification économique afin de tenter de conjurer la surproduction et affronter la concurrence elle doit en quelque sorte planifier une série de réformes politiques et sociales afin de pouvoir soutirer le maximum de plus-value au prolétariat tout en renforçant son Etat.
En ce qui concerne la bourgeoisie française, d'une part elle vise la forme même de l'Etat tel qu'il était issu de la deuxième guerre mondiale (le fameux Etat providence et le pacte de collaboration sociale entre les classes sur lequel il repose permettant d'obtenir l'appui de la classe ouvrière sans lequel la bourgeoisie ne peut continuer à diriger elle-même); d'autre part le salaire indirect, dont la gestion par les « partenaires sociaux » constitue également une des formes de cette collaboration de classe à laquelle les réformistes (partis de gauche et syndicats en tête) ont tant contribué main dans la main avec les capitalistes.
En outre cette offensive doit d'autant plus s'intensifier que lors de la dernière crise de surproduction, l'Etat a dû « investir » (BORDIGA parlait d'éjaculation dans « Structure économique et sociale de la Russie d'aujourd'hui) plus que jamais pour relancer le cycle économique et accompagner cette relance. Notamment par le renflouement des organismes bancaires et le « sauvetage » des Etats les plus faibles en échange de prêts usuraires. Même si en contrepartie ces derniers se sont trouvés confrontés à la nécessité d'appliquer des politiques d'austérité sans précédent, au risque de ranimer la lutte du prolétariat chez eux (par exemple la Grèce, l'Irlande ou le Portugal) avec le risque de contagion.
Ce faisant, en France, mais également dans la plupart des nations de vieux capitalisme, elle s'est attaquée, d'une part aux services publics qu'elle a en partie transférés aux capitaux privés, en partie réduits , surtout quand à leur présence dans les milieux ruraux en les concentrant dans les grandes agglomérations urbaines, réalisant ainsi des économies d'échelle et de personnel, d'autre part au salaire indirect (assurance vieillesse, chômage, assurance maladie, allocations familiales etc.), en réduisant les prestations, en diminuant la part des entreprises, et en augmentant, dans un premier temps, celles des salariés dans les prélèvements sociaux. Toutefois les tactiques peuvent varier et dépendent tant de particularités nationales et historiques que des aléas de la lutte des classes elle-même.
L'objectif de la bourgeoisie, en ce qui concerne cette part du salaire indirecte et différée, ne se situe pas à l'intérieur du système hérité de l'après deuxième guerre mondiale mais en dehors, par sa suppression et son remplacement par un système plus adapté aux conditions actuelles de la valorisation du capital. D'où le fait qu'elle organise l'épuisement de ce système en réduisant dans un deuxième temps les cotisations sociales d'un grand nombre de salariés actifs, évitant ainsi que la baisse du salaire apparaisse immédiatement. En rognant toujours plus sur leur salaire indirect et leur pouvoir d'achat futur, elle s'est attaquée plus directement aux inactifs et aux inemployés, censés être moins combattifs, sur lesquels elle a cherché à faire peser plus lourdement le coût de ses réformes. Mais la pression directe sur les actifs employés opère parallèlement au travers du chantage au licenciement rendu beaucoup plus efficace grâce à la loi travail passée en force en plusieurs temps à coup d'article 49-3 sous la présidence Hollande et d'ordonnances sous celle de Macron. D'autant que les réformes en cours portant sur le régime d'indemnisation du chômage ont de quoi leur faire redouter les licenciements devenus d'autant plus faciles à pratiquer en fonction des besoins.
En ce qui concerne l'impôt également l'objectif de la bourgeoisie se situe en dehors de l'impôt sur le revenu, sur le terrain des impôts indirects qui pèsent essentiellement et de manière proportionnellement plus lourde sur la grande majorité des salariés, à commencer par les plus pauvres d'entre eux qui par ailleurs sont généralement exonérés d'impôt sur le revenu. D'où l'empilement de nouvelles taxes et autres redevances, comme la taxe carbone etc. Or une taxe comme la taxe sur les carburants se distingue tout particulièrement de l'impôt et notamment de l'impôt sur le revenu en ce que ce dernier, même si ce n'est pas la seule différence, n'a pas vocation à assurer l'entretien et le développement des infrastructures routières contrairement à la première, même si depuis des années, celles-ci sont quasiment à l'abandon, les recettes de ces taxes ayant été certainement détournées de leur véritable destination. Nous reviendrons plus bas sur cette question puisque ce fut l'augmentation programmée de ces taxes qui fut à l'origine du mouvement. Il suffit ici de préciser que cette taxe profitait également aux collectivités locales et que par conséquent elles pouvaient compenser une partie des pertes dues à la suppression progressive d'une partie des taxes d'habitations remplacées par une dotation à la discrétion de l'Etat. Cette mesure démagogique était destinée à faire avaler la pilule amère des réformes en cours, des attaques passées présentes et à venir, tout en avançant surement vers le désengagement progressif de l'Etat vis-à-vis des collectivités locales.
Tout en diminuant le poids de l'impôt sur le capital comme le passage de l'ISF à l'IFI, certaines mesures visent également à faire disparaître le système des impôts directs et progressifs en cherchant à fusionner impôt sur le revenu et CSG (Contribution sociale généralisée).
Le prélèvement à la source si souvent repoussé par les différents gouvernements fut finalement acté par la bourgeoisie française, malgré la grogne des PME, car il facilite les mesures précédentes sur plus d'un plan, outre qu'il s'agissait d'un archaïsme pour la bourgeoisie française.
Il existe évidemment de nombreux autres angles d'attaque de la bourgeoisie contre la classe ouvrière afin d'en soutirer un maximum de plus-value, comme les délocalisations, le recours à la main d'oeuvre immigrée plus docile et plus mal payée, mais également la précarisation des emplois et le maintien d'une forte surpopulation relative de chômeurs qui freine la progression générale des salaires, l'augmentation de la durée du travail, etc. Et elle ne s'en prive pas.
D'ailleurs les réformes successives des retraites visent en outre à l'augmentation de cette durée de la vie active des travailleurs, abaissant par conséquent le niveau des salaires. Durée qui peut également être augmentée de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle par des accords d'entreprises rendus plus faciles par les réformes du droit du travail. Ainsi, face aux difficultés rencontrées par le capital pour accroître la plus-value relative, elle cherche à accroître également la plus-value absolue.
Toutefois comme nous l'avons évoqué ci-dessus, il existe d'importantes différences de situation selon les Etats. Et notamment entre les pays anglo-saxons et les pays latins, les premiers ayant déjà bien engagé certaines réformes, notamment sur le terrain fiscal et de la précarisation du travail. Le retard de la bourgeoisie française tient évidemment aux particularités de son histoire dont nous ne pouvons pas traiter ici. Nous nous contenterons de quelques généralités remontant à la 2° guerre mondiale jusqu'à nos jours.
3/ En France la bourgeoisie a connu une situation tout à fait particulière durant et après la deuxième guerre mondiale. Ayant perdu la guerre face à l'Allemagne, divisée sous l'occupation entre le régime collaborateur de Vichy et la résistance de ladite France libre, elle a fini par retrouver un semblant d'indépendance et d'unité sous la férule des Etats-Unis à la Libération puis sous la 4° République. A la fin de la guerre elle dut faire des concessions aux réformistes staliniens et aux syndicats ouvriers au travers du fameux CNR dans la mesure où ceux-ci garantissaient l'intégration du prolétariat dans la communauté nationale du capital et son encadrement en vue de la reconstruction. Mais elle n'est parvenue à se donner une forme adéquate d'Etat qu'après la fin de la reconstruction et la récession de 1957, avec la constitution de la 5° République sous la présidence du Général De Gaulle. A ce moment-là on peut considérer que le capital domine réellement la société et la machine d'Etat en France.
Celle-ci devait permettre à la bourgeoisie française de congédier l'ami américain et de faire face tant aux révolutions dans l'Empire colonial français qu'à la concurrence sur le marché mondial. La modernisation prit alors une forme politiquement organisée et centralisée et les archaïsmes de l'économie furent éliminés (élimination de la petite agriculture et de la petite bourgeoisie, développement des nouvelles classes moyennes salariées, etc.).
Ce fut d'ailleurs après avoir réglé la question coloniale que la 5° République fit entrer massivement la main d'oeuvre immigrée dans sa compétition avec les USA au cours des années 60 et 70 du siècle passé avant de se lancer dans les restructurations industrielles et l'automation au milieu des années 70. Ce qui aboutit à une explosion du chômage et à la reconstitution de l'armée industrielle de réserve.
Toutefois si la bourgeoisie française avait trouvé la forme adéquate d'Etat avec la 5° République dans les conditions d'alors, celle-ci s'est avérée imparfaite sur plusieurs plans et notamment pour faire face à de nouvelles situations comme la grande grève de Mai Juin 68 ou le retour des crises cycliques et l'affaiblissement de ses garde-fous staliniens et syndicaux après 68.
Pour mener à bout les réformes nécessaires à la compétitivité du capital français il a d'abord fallu illusionner les prolétaires sur la perspective politique d'un changement avec l'union de la gauche largement soutenue par les gauchistes de tout poil.
Celle-ci parvenue au pouvoir en 1981, après avoir concédé quelques améliorations sociales comme la retraite à 60 ans et les 39 heures put aisément commencer à détricoter le pacte social de la libération sous la direction du cynique Mitterrand ex royaliste puis cagoulard passé à la résistance puis à la social-démocratie, à la répression des révolutions anti coloniales puis à celle des résistances ouvrières des années 80. Dans ce « travail », la bourgeoisie française toujours centralisatrice, dotée d'un pouvoir de gauche, pris du retard sur ses concurrents anglosaxons.
Sur le plan politique, l'émiettement des partis de gouvernement constituait une faiblesse de la bourgeoisie française, contrairement aux bourgeoisies anglo-saxonnes qui avaient institué une espèce de bipartisme assurant l'alternance au pouvoir en évitant les crises politiques graves : la droite représentant le capital et la gauche représentant le travail (Démocrates et Républicains aux USA, Conservateurs et Travaillistes en GB, Démocrates Chrétiens et Sociaux-Démocrates en RFA etc.). La marginalisation du PCF après 68 et l'affaiblissement de la CGT qui ont accompagné les restructurations industrielles, nécessaires pour maintenir la compétitivité du capital français sur le marché mondial, puis la chute du mur de Berlin avec l'éclatement du bloc de l'Est et l'implosion de l'URSS ont accéléré la restructuration politique et syndicale en France entre le milieu des années 80 et celui des années 90.
Malgré cette restructuration, une autre des faiblesses de la 5° République résidait dans la possibilité calamiteuse pour le pouvoir de la cohabitation qui ne manqua pas de se produire. Celle-ci entrave le travail de l'équipe qui gouverne car elle doit faire face à une présidence qui incarne alors l'opposition. La mystification démocratique avec l'illusion de l'alternance tant à s'affaiblir si les deux parties vont main dans la main à la tête de l'Etat. La gauche et la droite avec leurs avatars des extrêmes risquent fort d'être également déconsidérés laissant un dangereux vide de pouvoir. D'où la difficulté pour la bourgeoisie française de mener à bien les réformes dont elle avait un urgent besoin afin d'accroître l'exploitation de la classe ouvrière.
Cette difficulté fut surmontée avec le passage au quinquennat et à la synchronisation des élections présidentielles avec les législatives qui permettent généralement de donner une majorité absolue au parti présidentiel, laissant l'opposition jouer son rôle d'amuseur des classes dominées.
La bourgeoisie pensait dès lors pouvoir d'autant plus facilement balayer tous les obstacles que les mouvements sociaux et le nombre de jours de grèves n'avaient cessé de diminuer depuis le début des années 80, surtout avec la reconstitution d'une armée de réserve et la recréation d'une surpopulation de pauvres totalement exclus, le paupérisme de Marx, dont les principaux artisans furent les ministres des gouvernements Mauroy et tout particulièrement la clique des sociaux libéraux, le « curé » Delors, le suicidé Bérégovoy et le scout carriériste (« hamster érudit ») Michel Rocard, plus tard à la manœuvre contre les régimes de retraite des travailleurs salariés.
Après la consolidation de la gauche autour du parti socialiste et la droite autour du RPR, la gauche au pouvoir s'empressa d'accélérer le processus de modernisation restructuration du capital français ; ce qui se traduisit dès le milieu des années 80 par l'apparition des « nouveaux pauvres » comme indiqué précédemment, puis après une première cohabitation et avec le retour de la droite au gouvernement dans le cadre d'une deuxième cohabitation, les premières réformes des retraites débutèrent, sous le gouvernement Balladur (l’homme soupçonné dans l’affaire des rétrocommissions dans la vente de sous-marins au Pakistan) avec Fillon, dès 1993 dans le secteur privé ; mais le livre blanc sur les retraites préparant cette première réforme date lui de 1991, sous la houlette de Michel Rocard également initiateur de la CSG, une source de revenu pour l'Etat qui constitue plus du double de l'impôt sur le revenu et qui n'est plus progressif, permettant la baisse des charges sociales patronales !
Ce fut ensuite au tour des régimes spéciaux en 1995 avec la réforme de la sécurité sociale tentée par Alain Juppé. Mais comme l'on s'en souvient il dut faire face à une résistance inattendue, notamment de la part des cheminots, et ne put mener la réforme à bout, même si l'encadrement corporatiste syndicaliste et la division théâtrale des rôles, désormais classique, entre CGT et CFDT ont permis d'infliger de nouveaux coups comme l'instauration de la CRDS, l'augmentation de la CSG et le gel des allocations familiales...
La stratégie consiste toujours à frapper séparément et tour à tour les différentes catégories du prolétariat, mais en laissant une partie du travail inachevé jusqu'aux futures élections afin de chercher malgré tout à se faire réélire. Le relais fut donné à la gauche, mais dans le cadre d'une nouvelle cohabitation entre 1997 et 2002. Ce qui freina d'autant plus le rythme espéré des réformes anti ouvrières. En ramenant le mandat présidentiel à un quinquennat et en faisant coïncider élections législatives et présidentielles Chirac résolut la question épineuse pour la 5° République des cohabitations, d'autant que sa réélection se fit en 2002 avec l'appui de toute la gauche et de l'extrême gauche face à l'épouvantail fasciste incarné par Le Pen.
Nous l'avons dit, ces réformes attaquent généralement également tôt ou tard d'autres classes sociales comme la petite bourgeoisie et les nouvelles classes moyennes salariées. Ce fut le cas avec le fameux CPE ou Smic jeune déjà tenté par le « malheureux » premier ministre Balladur en 1993, pourtant épaulé par une police déjà particulièrement détestée (l'époque d'un ministre de l'intérieur soupçonné d'appartenir à la maffia comme Pasqua) et une justice expéditive des plus serviles (les comparutions immédiates et les incarcérations préventives ont commencé à pleuvoir). L'opposition à cette réforme tentée en 2006 par le très aristocratique De Villepin échoua face à une opposition qui, succédant aux émeutes de 2005, commençait à gagner des couches sociales de plus en plus larges malgré le sabotage en règle des syndicats « ouvriers » et de la gauche soutenue toujours par ses extrêmes gauchistes.
Ce qui suscita des remaniements au sein de la droite gaulliste et déboucha sur la fronde sarkosiène qui, après l'élection de Nicolas le bouffon hystérique au karcher, repris l'inexorable chemin des réformes inachevées auxquelles le président « normal » des « sans dents », François Hollande, apporta sa contribution des moins négligeables en termes d'attaque de la classe ouvrière. Notamment par le parachèvement de la réforme des retraites et le détricotage du droit du travail avec la loi El Khomri, du nom d'une obscure secrétaire d'Etat propulsée ministre du travail pour faire la sale besogne, avant d'aller pantoufler ailleurs.
Mais à la longue droite et gauche se sont usées et la bourgeoisie dut sortir le joker tout en évitant de dévoiler trop vite le caractère totalitaire et fasciste de sa domination, laissant encore jouer le rôle commode et toujours rappelé, de l'épouvantail fasciste au rassemblement national, d'autant que contrairement à la bourgeoisie anglaise, elle ne peut se payer le luxe d'un Frexit.
Ce fut d'une part l'élection de Macron qui en moins d'un an créa un parti prétendument au-dessus de tous les autres, à la manière bonapartiste, mais avec un contenu fasciste dont l'utilisation des ordonnances, puis l'affaire BENALLA et sa police parallèle et enfin la répression féroce du mouvement des gilets jaunes, répression qui n'ira qu'en se durcissant face à toute contestation un peu sérieuse du pouvoir bourgeois, donna un léger aperçu. Et d'autre part l'agitation d'un Parti de Gauche avec son leader charismatique de carton paille, le tragicomique Jean Luc MELANCHON venant combler le vide d'un PS à l'agonie et d'un PCF désintégré.
Le cadre politique de la 5° République n'est donc pas abandonné par la bourgeoisie française pour mener à bien la défense de ses intérêts, mais sans cesse perfectionné et renforcé en même temps que ses partis et ses divers auxiliaires syndicaux et associatifs. Ce qui n'exclut pas, et certains agitent depuis plusieurs années cette variante, en cas de grave crise politique l'alternative d'une VI° République, plus démocratique et par conséquent plus efficace en cas de menace révolutionnaire. Mais il y a fort à parier qu'une dose de proportionnelle et de Référendum d'initiative citoyenne, ou simplement partagée, suffiront pour l'instant à calmer les ardeurs des tigres de papier qui font mine de rugir contre la 5°.
Finalement, Macron et LREM n'ont fait que rejouer la partition du gaullisme sur un autre ton plus moderne et plus conforme aux exigences du moment. Par contre la réforme de l'Etat vise justement à le rendre plus efficace dans ses fonctions régaliennes et surtout à moindre coût.
Il doit fonctionner de plus en plus comme une entreprise et rationaliser ses processus (l'évolution de la comptabilité publique vers les normes de la comptabilité privée va d'ailleurs parfaitement dans ce sens). Tout cela est parfaitement conforme à l'évolution de la domination réelle du capital sur la société et sur l'Etat.
Mais le financement de cette machine de domination politique passe essentiellement par l'impôt que la bourgeoisie doit faire peser toujours plus sur les autres classes sociales pour en alléger le capital. Et c'est à ce stade que la bourgeoisie française se trouve forcée de mener à bout ses réformes qui doivent aller bien au-delà de ce qui a été entrepris jusque-là en la matière. D'autant qu'une partie croissante de cette masse d'argent que l'Etat centralise doit retourner sous toutes les formes possibles et imaginables entre les mains des capitalistes les plus puissants et les plus influents, ne serait-ce que sous la forme la plus classique de la dette publique grandissante, mais également de subventions et de marché publics attribués dans le seul but véritable d'enrichir les promoteurs d'affaires toujours plus foireuses (comme l'a si remarquablement analysé Amadeo BORDIGA) préludes aux catastrophes en série qui frappent toujours plus des populations et des secteurs toujours plus variés et étendus.
Elle doit notamment en finir avec le mode de financement et de gestion du salaire indirect et de l'impôt, car elle doit permettre au capital non seulement de s'en exonérer, mais encore de profiter de toute cette épargne au détriment des autres classes et en particulier du prolétariat, seule classe productrice de la plus-value. C'est notamment le cas avec la réforme des retraites et l'appétit grandissant des vautours à la BlackRock.
II/ Le mouvement des gilets jaunes.
Face aux agressions de plus en plus cyniques envers les couches sociales les plus défavorisées, les moins organisées et les plus atomisées du prolétariat, celles qui subissent le plus les effets des crises et des catastrophes, la réaction « populaire » de ces mêmes couches s'est manifestée en une explosion de colère à laquelle le pouvoir et les supplétifs politiques et syndicaux de ce pouvoir ne s'attendaient pas.
Ils ne s'attendaient ni à l'ampleur, ni à la durée, et encore moins à la détermination de ce mouvement et au soutien qu'il a reçu d'une grande majorité de français, semblant apercevoir dans le sort des gilets jaunes un sort qui leur était certainement promis...
Comme nous l'avons déjà évoqué, et tous les commentateurs de tous bords, chacun à sa manière l'ont souligné, qui pour en tirer prétexte à dénigrement, qui pour en glorifier le caractère « populaire » … le mouvement des gilets jaunes n'est pas sociologiquement ni politiquement monolithique.
Pour tenter de clarifier cette question de la nature du mouvement des gilets jaunes, nous pouvons nous appuyer sur trois aspects de ce mouvement :
- La composition sociologique (si tant est que l'on possède des chiffres fiables à ce sujet tout en sachant qu'elle est poly-classiste)
- La nature des revendications (et là encore elles sont l'émanation des intérêts de classes différentes pouvant être communs ou antagonistes, convergents ou divergents).
- La forme et les moyens d'action adopté par le mouvement (ce qui en soi ne peut pas permettre de définir sa nature de classe).
C'est du rapport étroit entre les trois aspects et de la dynamique même du mouvement que l'on peut en définitive tirer une vision qui ne soit pas liée à un simple ressenti de classe au sujet de la nature de ce mouvement social. Il faut y ajouter la nature même des réponses apportées par la bourgeoisie, son Etat et son gouvernement, avec sa ribambelle de spécialistes et d'enfumeurs.
1/ Les différentes couches sociales qui se sont spontanément mobilisées s'opposaient principalement à deux mesures gouvernementales : l'augmentation des taxes sur le carburant, et la limitation de vitesse à 80km/heure sur un nombre de tronçons routiers jusque-là limités à 90km/heure. Mais l'augmentation de la CSG pour les retraités et la diminution de 5€ des allocations logement furent également parmi les déclencheurs. On peut constater que Macron et son premier ministre n'ont pas hésité une seconde à tenter de reporter cette mesure des plus impopulaires sur les propriétaires fonciers appelés à diminuer d'autant le prix des loyers... ravivant encore la contradiction insurmontable entre capital et propriété foncière, en présentant ceux-ci comme les véritables profiteurs de la misère in fine.
Avant d'aborder les revendications de ce mouvement et l'analyse de leur nature de classe, nous voulons répondre à la question du point commun entre toutes ces mesures apparemment hétéroclites. Apparemment, car si l'on y regarde de plus près elles affectent toutes le niveau de vie et le pouvoir d'achat de couches sociales les plus défavorisées et les plus pauvres, parmi lesquelles les plus basses couches de la petite bourgeoisie (certains petits artisans et commerçants, de petits employés et paysans) mais en majorités les plus basses couches du prolétariat (petits retraités, travailleurs précaires dont une masse grandissante d'autoentrepreneurs et de travailleurs indépendants ubérisés, chômeurs de longue durée, femmes isolées avec enfants, petits salariés célibataires et jeunes sans emploi).
Or ce sont bien ces mêmes couches des mêmes classes sociales qui se sont principalement et majoritairement mobilisées dès le mois de Novembre 2018. Et plus particulièrement celles des milieux provinciaux ruraux et périurbains. Ce qui explique que la mesure visant à réduire la vitesse sur le réseau routier ait pu fédérer ces mêmes couches sociales, rallongeant d'autant plus le temps passé sur la route pour se rendre sur les lieux de travail ou de services publics ou privés toujours plus rares et éloignés. D'autant que les autres mesures et réformes en cours depuis des années ne cessent d'éloigner ceux-ci des lieux d'habitation d'un nombre croissant de travailleurs et réduisent drastiquement les autres modes de transport comme le ferrovière.
L'augmentation programmée des taxes sur le carburant attaquait bien ces mêmes couches sociales forcées à effectuer de nombreux kilomètres quotidiens en voiture, renchérissant sans cesse le coût de ces transports (et ce n'est pas seulement le carburant mais encore les assurances, les entretiens, les réparations et les contrôles techniques des véhicules qui le renchérissent, ces derniers se durcissant et leur coût se renchérissant, et enfin les amendes de police).
On peut donc déjà déceler le caractère sociologiquement marqué du côté du prolétariat du mouvement. Mais également la présence massive des femmes y compris dans les représentations qu'il s'est donné révèle ce caractère, comme dans tous les mouvements sociaux prolétariens les femmes furent souvent à l'origine du déclanchement.
2/ Les revendications de justice fiscale et de pouvoir d'achat.
En ce qui concerne les revendications de plus grande justice fiscale nous avons déjà indiqué dans la première partie, contrairement à ce que pensent nos ultrarévolutionnaires, en quoi elle concerne bien la classe ouvrière et la défense de la valeur de sa force de travail. Et surtout en quoi les impôts indirects et les taxes de toute sortes lui sont préjudiciables par rapport à l'impôt direct et surtout progressif (ceci est défendu par Marx dans le Manifeste de 1848). Il en est de même de la question du salaire différé qui est au cœur des différentes réformes de la sécurité sociale et des régimes de retraite.
Nous rappellerons tout d'abord ce qu'en disait Marx en 1847 dans « La critique moralisante et la morale critique » à l'encontre de Karl HEINZEN, un représentant d'une des variantes du socialisme petit bourgeois :
« Au point de vue matériel, la monarchie, comme toute autre forme de gouvernement, n'existe directement pour la classe ouvrière que sous forme d'impôts. Les impôts sont l'expression économique de l'existence de l'Etat. Fonctionnaires et prêtres, soldats et danseuses, maîtres d'écoles et agents de police, musées grecs et tours gothiques, liste civile et hiérarchie sociale : l'embryon commun où sommeille toutes ces existences fameuses, ce sont les impôts. »
Nous soulignons « comme toute autre forme de gouvernement » car les formes plus spécifiquement bourgeoises font également peser sur la classe ouvrière le poids des impôts même si chaque clique qui vise la direction de la machine administrative de l'Etat jette à la figure de l'autre l'excès de fiscalité et la mauvaise gestion, voire la dilapidation, de ses recettes par des dépenses pharaoniques ou des enrichissements privés ou même personnels (les innombrables et indéfinies affaires qui touchent les partis politiques bourgeois et les parlementaires jusqu'à l'affaire Cahuzac et l'affaire Fillon pour ne citer qu'elles parlent d'elles-mêmes). Et Marx poursuit :
« Et quel bourgeois raisonneur n'aurait pas attiré l'attention du peuple mourant de faim sur les impôts, l'argent mal acquis des princes comme la source de sa misère ?
Les princes allemands et la détresse allemande ! En d'autres termes, les impôts avec lesquels les princes font la noce et que le peuple paie en suant sang et eau !
Quelle matière inépuisable pour tous ces hâbleurs, sauveurs de l'humanité !
La monarchie occasionne beaucoup de frais. Sans doute. Voyez donc le budget des Etats-Unis et comparez ce que nos 38 patries minuscules ont à payer pour être administrées et réglementées ! » (p.111 éditions Spartacus)
On le voit ce type de démagogie ne date pas d'hier et les prolétaires même sous gilet jaune devront s'en vacciner s'ils veulent mener leur propre politique et ne pas tomber sous la coupe de nouveaux démagogues.
En réalité la bourgeoisie ne peut pas se passer des impôts et doit de toute manière chercher à les faire peser au maximum sur les autres classes de la société à commencer par la classe ouvrière.
Poursuivons avec Marx qui expose le point de vue des économistes bourgeois :
« Aux récriminations bruyantes de cette démagogie prétentieuse ce ne sont pas les communistes qui répondent, mais les économistes bourgeois, tel que Ricardo, Senior. Et cela en deux mots.
L'existence économique de l'Etat ce sont les impôts.
L'existence économique des travailleurs c'est le salaire.
Il s'agit de déterminer le rapport entre les impôts et le salaire. »
(La critique moralisante et la morale critique p.112 ed Spartacus
Marx aborde alors la question des rapports entre l'impôt et le salaire :
« Le salaire moyen est, par la concurrence, nécessairement réduit au minimum, c'est-à-dire à un salaire qui permet aux ouvriers d'assurer tant bien que mal leur existence et l'existence de leur race. Les impôts constituent une fraction de ce minimum, car la vocation politique des ouvriers consiste précisément à payer des impôts. Si l'on supprimait radicalement tous les impôts qui pèsent sur la classe ouvrière, la conséquence nécessaire en serait que le salaire serait diminué de tout le montant des impôts qui y entre aujourd'hui. Et alors de deux choses l'une : ou bien le profit des employeurs croîtrait immédiatement dans la même mesure, ou bien il n'y aurait eu qu'une simple modification dans la « forme » de la perception de l'impôt. Au lieu d'avancer directement, comme il le fait aujourd'hui, dans le salaire les impôts que l'ouvrier doit payer, il ne les paierait plus par cette voie détournée, mais directement à l'Etat. »
(« La critique moralisante et la morale critique » Karl MARX)
C'est alors la retenue à la source que la bourgeoisie française a finalement adoptée. Et celle-ci permet de faire certaines économies budgétaires dans les services des Finances Publiques tout en accélérant les rentrées de recettes. Là encore cette mesure fait empirer la situation des prolétaires les plus précaires et plus particulièrement ceux des zones rurales et périurbaines dans la mesure où elle s'accompagne d'une accélération de la fermeture des services de proximité et rend encore plus difficile l'obtention de délais de paiement. Mais cette mesure heurte évidemment de plein fouet les petits patrons dont les charges comptables vont augmenter et les travailleurs improductifs des services concernés dont les effectifs vont diminuer et leurs tâches s'intensifier.
Toutefois les gilets jaunes ont su rattacher ces questions à celle plus générale du pouvoir d'achat et par conséquent de l'augmentation des salaires, des retraites et des allocations et obtenir le soutien, passif il est vrai d'une majorité de citoyens, rendant ainsi la tâche de la bourgeoisie et de son comité exécutif plus difficile.
Dans tous les cas et de toutes les manières possibles la bourgeoisie cherchera à diminuer sa part des impôts pour augmenter son profit.
Les réactions des gilets jaunes, tout en coïncidant avec une réaction de certaines couches de la classe ouvrière aux attaques de la bourgeoisie catalysaient nécessairement celles d'autres couches sociales sur ces sujets. Mais d'une manière générale, même si le caractère prolétarien de ce mouvement n'a pas abouti à une claire conscience de classe et s'il est resté prisonnier d'une dynamique chaotique et pluri-classiste, « populaire », il a été clairement prédominant.
3/ Les revendications politiques.
En passant de revendications immédiates, économiques et sociales à des revendications politiques, les gilets jaunes ont renoué spontanément d'une certaine manière avec la tradition des grèves de masses.
Il est facile de critiquer la naïveté de ceux qui pensent contrôler le pouvoir politique bourgeois entièrement et réellement dominé par le capital à l'aide du gadget démocratique du RIC, par ailleurs parfaitement compatible avec la république bourgeoise en Suisse, pays de la finance reine... Mais il faut voir derrière cette revendication, un début de rupture avec la forme du pouvoir politique de la bourgeoisie et la mystification démocratique à un niveau encore tout à fait embryonnaire, c'est-à-dire à un niveau encore purement formel. La critique des gilets jaunes envers l'Etat bourgeois ne touche encore qu'à la forme, mais il a le mérite de dépasser le simple cirque électoral de la démocratie représentative, dans lequel les partis de gauche et d'extrême gauche cherchent à enfermer généralement le prolétariat, pour chercher d'autres voies, même si celles-ci demeurent encore empêtrées dans la démocratie, fusse-t-elle une démocratie directe.
Evidemment, le populisme ambiant a pu aisément soutenir ce genre de revendication dans la mesure ou elle ne touche pas au pouvoir réel de l'Etat bourgeois. Mais la défiance grandissante des prolétaires envers les partis politiques bourgeois n'épargne pas les populismes qui ne sont toutefois pas parvenus à récupérer le mouvement à leur profit, malgré des tentatives évidentes.
D'autre part la répression qui s'est abattue sur le mouvement ne pourra que renforcer l'opposition à l'Etat. Mais le chemin est encore long jusqu'à l'idée du contre-pouvoir, de l'insurrection et de la dictature du prolétariat. Il faudra que ce type de mouvement s'étende d'abord aux catégories centrales du prolétariat et que celui-ci se constitue en classe et en parti autonome et opposé à tous les autres, d'une manière ou d'une autre. Or par lui-même ce mouvement n 'en est pas encore porteur et ne peut pas l'être du fait des conditions mêmes de la lutte des classes telles qu'elles prédominent encore et de ses propres faiblesses.
Une des forces du mouvement des gilets jaunes a résidé dans le fait qu'il ne s'est pas développé dans le carcan syndical ni même en marge de celui-ci mais complètement en dehors. Ceci tient à la nature même des catégories sociales qui se sont mobilisées (pour l'essentiel : retraités, chômeurs et précaires, travailleurs uberisés, autoentrepreneurs et petits artisans au bord de la faillite). De ce fait il ne pouvait pas être question de récupération ou manipulation syndicale, et tout le monde a pu constater l'impuissance de ces organisations de contrôle des mouvements sociaux de salariés vis-à-vis de ce mouvement, voire le simple dénigrement de celui-ci.
Ces mêmes catégories étant généralement situées en dehors de l'entreprise, ou marginales, ou bien gérant elles-mêmes des microentreprises en faillites ou en voie de le devenir, ne pouvaient pas non plus être enfermées dans ce cadre. Leur manifestation ne pouvait déboucher que sur la rue et la confrontation avec le reste de la société et avec l'Etat.
Comme elles ne se sentent plus représentées politiquement, l'encadrement politique faisait également défaut. Et si les seuls partis qui peuvent avoir un certain écho auprès de certains gilets jaunes sont les partis populistes, plutôt de droite (RN) que de gauche (LFI), le mouvement des gilets jaunes dans son ensemble a suivi sa propre dynamique chaotique et entêtée.
Ainsi en l'absence du traditionnel encadrement syndical et politique les revendications des gilets jaunes se sont rapidement portées d'elles-mêmes du terrain économique et social au terrain politique. Ce qui ne signifie pas que ces revendications dépassent pour autant les limites du cadre imposé par l'Etat et ses organes législatifs comme exécutifs ou judiciaires. Autrement dit que le mouvement ait abouti à des revendications de nature révolutionnaire. Mais qu'il n'est pas resté enfermé dans de simples revendications immédiates.
De ces caractéristiques découlent une conséquence qui a déterminé la radicalité du mouvement : les manifestations ont échappé à la collaboration entre l'Etat et les organisations syndicales et politiques qui sont censées les encadrer. Leur parcours et leurs objectifs ont déviés des parcours et objectifs habituels et inoffensifs voire démoralisants à l'écart des centres de pouvoir et de décision. (Voir la carte du Monde diplomatique du mois de Février 2019).
La réponse essentiellement répressive du gouvernement face à un mouvement incontrôlé et imprévisible n'a fait que le radicaliser et pousser même les plus pacifistes à chercher à se défendre. De fait, la pratique des black-blocs, visant à détourner une manifestation de son parcours programmé avec la préfecture et encadré par les services d'ordre des organisations légales, vers un autre objectif, devenait inhérente à la totalité des manifestants et constituait une menace pour l'ordre bourgeois, surtout le risque de contagion n'était pas négligeable étant donné l'ampleur des attaques contre la classe ouvrière dans son ensemble et les sondages favorables aux gilets jaunes.
Une manifestation incontrôlée de centaines de milliers de manifestants, même sans objectif politique déterminé, en plein cœur de Paris, à proximité des centres de pouvoir, ne pouvait qu'entraîner une répression sans précédents depuis Mai 68 dont on venait justement de commémorer les 50 ans ! Or c'est bien au mois de Mai 2018 que cette répression avait déjà dépassé les limites des manifestations habituelles avec l'intervention notamment de la police parallèle de Macron sous les ordres de BENALLA et bien avant dès les attentats djihadistes de 2015 que des lois anti-terroristes permettaient toutes sortes de suspensions des libertés démocratiques et une répression accrue. Désormais, outre l'arsenal habituel de la gendarmerie et des CRS, avec ses gaz lacrymogènes, ses canons à eau, ses grenades défensives et offensives, et ses flashballs, on a vu apparaître des fusils d'assaut et des véhicules blindés de l'armée. Mais c'est surtout l'utilisation massive de la BAC comme force de répression des mouvements sociaux qui est notable. Pour la bourgeoisie les manifestants sont désormais considérés et traités comme des criminels.
Une telle répression n'a pu que dévoiler la nature véritable de l'Etat démocratique et Républicain à des manifestants peu habitués aux pratiques de l'exécutif sans toutefois leur laisser mécaniquement percevoir une véritable alternative politique. Les classements sans suite face aux différentes plaintes les éclaireront également sur la nature de l'appareil judiciaire et de la justice en général dans la société bourgeoise et la démocratie achevée (tout au moins dans ces grandes lignes). L'opposition classique entre démocratie représentative et démocratie directe reste enfermée dans le carcan démocratique où la bourgeoise domine haut la main et reprend facilement le contrôle grâce à son écrasante supériorité économique et sa domination de tous les grands organes de presse et médias audio-visuels jusqu'à l'Internet. Sous la forme gentillette du RIC elle laisse entièrement intact l'Etat constitué. Sans oublier que la démocratie directe demeure également empêtrée dans le marais des classes petites bourgeoises, nouvelles classes moyennes et petite bourgeoisie traditionnelle, dont les intérêts oscillent toujours entre bourgeoisie et prolétariat.
La voie révolutionnaire qui mène au renversement du pouvoir de la bourgeoisie doit aboutir à la destruction de l'Etat du capital et à la constitution d'un Etat prolétarien, la dictature du prolétariat, duquel la bourgeoisie et les propriétaires fonciers seront exclus et l'influence des classes moyennes et sans avenir historique limité. Il ne s'agira donc pas d'un Etat démocratique proprement dit, car elle exclue une partie du peuple et limite les droits d'une autre jusqu'à ce que les privilèges économiques de classe, la propriété privée capitaliste et tout danger de restauration de l'ordre bourgeois soient définitivement écartés. Cette forme de pouvoir est au contraire immédiatement en rupture avec la démocratie et sa mystification. Elle initie la dissolution des classes sociales et la constitution d'une nouvelle communauté humaine.
Sans entrer dans les questions que peuvent soulever les différentes tentatives historiques de la commune de Paris à la Révolution d'Octobre 1917, il faut aussi souligner que les organes d'un Etat prolétarien procèdent autant de la décision collective en assemblées que de la délégation de pouvoir au travers de représentants élus et révocables, et qu'il possède un gouvernement. Par conséquent il ne s'agit pas seulement d'une question de forme mais surtout de contenu. Il ne s'agit pas de choix entre démocratie représentative et démocratie directe, ou entre deux formes de l'Etat, mais entre Etat capitaliste et Etat ouvrier, entre répression contre la classe ouvrière ou contre la bourgeoisie et les propriétaires fonciers.
Dans l'Etat prolétarien, armée, police et justice doivent être organisés par les prolétaires eux-mêmes et pour leur propre protection et répression des tentatives réactionnaires des classes écartées du pouvoir.
L'Etat prolétarien se distingue également en ce qu'il doit réduire d'emblée le train de vie de ses représentants en le ramenant au niveau du pouvoir de consommation moyen des ouvriers (voir les mesures de la Commune de Paris en 1871).
Enfin, en tant qu'organe de classe, dans la mesure où il doit essentiellement abolir les classes il s'abolira lui-même. Il n'est déjà plus qu'un demi Etat.
Il faut souligner dans la question soulevée par le mouvement des gilets jaunes au sujet de l'Etat et de la démocratie, que dès le début, le simple fait pour des individus jusque-là atomisé de se retrouver et de retrouver une véritable convivialité et même pour certains tout simplement une socialité, leur est apparu comme essentiel. Ceci rappelle ce que disait Marx au sujet des prolétaires qui se retrouvaient dans les premières organisations ouvrières et pose la dimension de la communauté humaine face à l'Etat qui représente la communauté du capital. Et c'est également ce qui a certainement transmis l'énergie qui a permis à ce mouvement de ne pas s'essouffler rapidement et ainsi, malgré la répression féroce de faire reculer Macron.
« Mais l'être collectif dont le travailleur est isolé est un être collectif d'une tout autre réalité, d'une tout autre ampleur que l'être politique. L'être collectif dont le sépare son propre travail, est la vie même, la vie physique et intellectuelle, les mœurs humaines, l'activité humaine, la jouissance humaine l'être humain. L'être humain est le véritable être collectif des hommes. De même que l'isolement funeste de cet être est incomparablement plus universel, plus insupportable, plus terrible, plus rempli de contradictions que le fait d'être isolé de l'être collectif politique ; de même la suppression de cet isolement – et même une réaction partielle (c'est nous qui soulignons), un soulèvement contre cet isolement – a une ampleur beaucoup plus infinie, comme l'homme est plus infini que le citoyen et la vie humaine que la vie politique. » (Gloses marginales critiques à l'article « Le Roi de Prusse et la réforme sociale par un prussien » Karl Marx p.88 éditions Spartacus)
C'est donc une des raisons de la détermination dans la durée de ce mouvement, et qui a fait sa principale force, alors que le pouvoir attendait que celui-ci s'épuise de lui-même.
Toutefois il faut également rappeler les nombreuses faiblesses et limitations de ce mouvement, outre la question de la démocratie, qui a fini par se réduire et se diviser au point de ne plus guère effrayer la bourgeoisie, son Etat et son gouvernement, même si une résurgence, quoique selon nous sous une autre forme et avec une autre ampleur, est inévitable face à la crise, ses conséquences et les attaques renouvelées du capital.
Le mouvement des gilets jaunes est resté malgré tout limité sur le plan numérique. Même s'il avait une opinion majoritaire qui lui était favorable, il est demeuré isolé vis-à-vis de cette majorité et surtout du cœur même du prolétariat industriel. Ce dernier continuant à se laisser mener par les syndicats qui les opposaient nécessairement aux gilets jaunes. Les catégories qui composaient le gros de ses troupes étaient en partie inactive comme les retraités ou inemployées comme les chômeurs, la plupart relativement atomisés comme les travailleurs précaires, les ubérisés et les autoentrepreneurs ou les petits artisans. Dans l'ensemble ils étaient peu concentrés et plutôt décentralisés en province et dans le milieu rural et la périphérie des villes de province. D'où l'utilisation privilégiée des réseaux sociaux sur internet. Cet isolement et sa faiblesse numérique ont favorisé son manque d'autonomie vis à vis des influences petites bourgeoises en son sein. Notamment le caractère patriotique (drapeau français et une certaine influence des idées populistes de droite comme de gauche, etc). Mais encore ses illusions démocratiques comme nous l’avons déjà souligné.
Pour l'ensemble de ces raisons et en l'absence d'une extension vers le prolétariat actif et employé des grandes concentrations urbaines et industrielles ce mouvement ne pouvait que s'épuiser. Or il semble qu'il n'y ait pas eu de véritables velléités de rechercher une telle extension en allant faire de l'agitation. Lorsque certains gilets jaunes ont rejoint d'autres prolétaires ce fut dans... les cortèges syndicaux, alors que d'autres retournaient sur les ronds-points et d'autres encore se laissaient séduire par les pleurnicheries écologistes.
Ce mouvement pâtissait enfin d'une absence d'expérience de lutte, de nombreux gilets jaunes manifestaient pour la première fois... D'où également leur impréparation vis-à-vis des forces de répression.
III/Les communistes
« (…) le fait du développement de l'industrie moderne doit progressivement incliner la balance en faveur du capitaliste et contre le travailleur ; par voie de conséquence, la production capitaliste tend généralement à rabaisser, et non point à relever, l'étalon moyen des salaires, c'est-à-dire à repousser plus ou moins la valeur du travail vers sa limite minimale. Si telle est la tendance des choses dans ce système, est-ce à dire que la classe travailleuse doive renoncer à toute résistance contre les empiètements du capital ; faut-il, abandonnant l'idée d'en tirer parti, qu'elle laisse passer les occasions d'une amélioration passagère ? Une telle résignation dégraderait les travailleurs, nivellerait la masse de ces meurt-de-faim, de ces écrasés désormais incapables de salut. Je crois avoir montré que les luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système des salaires dans son ensemble, que dans 99 cas sur 100, les travailleurs, en s'efforçant de relever les salaires, s'évertuent tout simplement pour soutenir la valeur donnée du travail, que la nécessité de débattre de leur prix avec le capitaliste est inhérente à leur condition, qui les contraint de se vendre comme des marchandises. Lâcher pied sans courage, dans ce conflit de chaque jour avec le capital, ce serait perdre la faculté de se lancer un jour dans un mouvement plus vaste. »
(« Salaire, prix et plus-value » Karl MARX La pléiade Economie I p. 532)
Jusqu'à preuve du contraire, et bien que le MPC soit aujourd'hui bien plus développé qu'à l'époque de l'AIT, et que la domination réelle du capital sur la société ait fait de considérables progrès dans l'aire occidentale, les travailleurs restent soumis aux impératifs de la lutte quotidienne et ne peuvent lâcher prise sous peine de perdre toute possibilité de lutte de plus grande envergure.
Les communistes qui méprisent ces luttes au nom de l'idéal révolutionnaire ne sont en fait que des doctrinaires coupés des réalités prolétariennes, méconnaissant le B-A BA du marxisme :
« Rien ne nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la politique, et de prendre parti dans la politique, donc de participer à des luttes réelles et de nous identifier à elles. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires avec un nouveau principe : voici la vérité, mettez-vous à genoux ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes du monde. Nous ne lui disons : renonce à tes luttes, ce sont des bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu'il doit acquérir, quand même il s'y refuserait. » (Marx à Ruge Septembre 1843 ed Spartacus)
Si l'on veut comprendre vers quoi tendent les luttes contemporaines, comme celles des gilets jaunes, il faut partir de ces principes depuis longtemps établis scientifiquement par le marxisme et se demander dans quelles conditions elles peuvent déboucher sur « un mouvement plus vaste ».
Mais même si un tel mouvement ne parvient pas à dépasser ses limites intrinsèques il n'y a aucune raison d'un point de vue communiste pour en contester le bienfondé au prétexte qu'il ne serait pas purement prolétarien et encore moins révolutionnaire. Les communistes doivent critiquer ses limites et montrer la voie qui mène à leur dépassement. Mais ils ne pourront pas créer de toute pièces les conditions qui permettrons aux prolétaires de se reconstituer en classe et en parti. Comme le proclamait l'AIT, la première internationale, « l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Nous rappellerons ici également le Manifeste communiste :
« Quelle est la position des communistes vis-à-vis des prolétaires en général ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers.
Ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat dans son ensemble.
Ils ne posent pas de principes particuliers d'après lesquels ils prétendent modeler le mouvement prolétarien.
Voici ce qui distingue les communistes des autres partis prolétariens :
d'une part, dans les diverses luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts communs du prolétariat tout entier, sans considération de nationalité ; d'autre part dans les diverses phases de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, ils représentent toujours l'intérêt du mouvement dans son ensemble.
Pratiquement les communistes sont donc la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l'avant ; du point de vue théorique, ils ont sur le reste de la masse prolétarienne l'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier.
Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination de la bourgeoisie, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne font qu'exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d'une lutte de classe qui existe, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux. »
(« LE MANIFESTE COMMUNISTE » chapitre II « Prolétaires et Communistes »)
Avec la crise économique qui s'est télescopée avec la crise sanitaire, cette dernière venant précipiter la première et mystifier l'origine antérieure et réelle de la crise, la bourgeoisie française a déjà pris les devant et transformé la République en forteresse capitaliste dotée de nouvelles armes législatives et exécutives pour parer à un éventuel retour de la crise sociale et de la lutte prolétarienne. Le confinement et les lois dites d'urgence sanitaire lui ont permis de tester à l'échelle réelle une dictature ouverte, partiellement consentie il est vrai dans ces circonstances particulières, mais qui demain s'imposera contre toute révolte contre l'ordre établi. L'ensemble des mesures testées vont bien au-delà en réalité des besoins supposés face à la pandémie de covid19 et se surajoutent à celles déjà enterrinées sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Mais la bourgeoisie française connaît mieux sa propre histoire que nos révolutionnaires, et met déjà en place une série de mesures économiques, sociales et politiques afin d'amortir le choc et de préparer la reprise d'un nouveau cycle. Parmi ces mesures, la pérennisation et généralisation du télétravail pour plus d'un tiers des salariés afin de renforcer leur atomisation. Cette mesure déjà expérimentée auparavant à plus petite échelle, permettra également une plus grande exploitation des productifs et une diminution du coût des improductifs. Pour les deux tiers restants, la flexibilité et le chômage partiel à des conditions de moins en moins avantageuses deviendront la règle. L'allongement de la durée du travail est d'actualité, complétant l'allongement de la durée d'activité par les réformes successives des retraites. Les plans de licenciement purs et simples toucheront tous les secteurs et tous les types d'entreprise. Enfin les mesures de durcissement des conditions de chômage vont affecter des couches sociales de plus en plus larges, qui, associées aux faillites en chaîne des micro et auto entreprises, ainsi que des PME, vont précipiter une masse de travailleurs, prolétaires, petits bourgeois et salariés des nouvelles classes moyennes dans la paupérisation. La pression sur les salaires, la durée et les conditions générales du travail pencheront d'autant plus en faveur de la bourgeoisie. Avec une certaine généralisation du travail précaire et flexible, une augmentation de la durée et de l'intensité du travail, et une réduction du coût de la machine d'Etat, elle espère remonter la pente et le taux de profit. C'est aussi l'amélioration de sa compétitivité sur le marché mondial qu'elle espère obtenir ainsi, autre volet pour fuir la surproduction et contrecarrer la baisse du taux de profit. Ce qui suppose un accompagnement militaire conséquent et la multiplication des opérations militaires extérieures, autrement dit un renforcement de la politique impérialiste et militariste de la France.
Durant le confinement, la répression des récalcitrants n'a pas faibli et la police a pu développer l'utilisation des drones de surveillance. La collaboration entre les divers corps de l'exécutif s'est organisée en vue de la répression d'un mouvement social de plus grande ampleur que celui des gilets jaunes et a commencé à tester des applications de contrôle de la population via les téléphones portables. Si celles-ci existaient déjà de manière plus ou moins légales, désormais elles ont obtenu l'aval démocratique du conseil constitutionnel, du parlement et même de la CNIL. Le modèle chinois inspire la bourgeoisie occidentale alors que l'espionnage de la population est généralisé aux Etats-Unis depuis des années.
Les réformes qui ont été momentanément repoussée vont s'accélérer et la bourgeoisie s'attend à des réactions qui pourraient bien s'inspirer des points forts du mouvement des gilets jaunes et qui toucheraient alors des catégories sociales plus nombreuses et plus centrales. Un tel mouvement pourrait également dépasser dès lors les limitations nationales du fait de la situation internationale bouleversée par une crise économique sans précédent et troquer le drapeau tricolore contre le drapeau rouge.
C'est la raison pour laquelle, ne pouvant se contenter d'une politique de répression, elle doit préparer une politique de prévention et chercher à renforcer la mystification démocratique.
Macron et LREM commencent à sentir le vent tourner : mouvement des gilets jaunes, crise économique, gestion calamiteuse de la crise sanitaire, perte de la majorité absolue à l'assemblée, défaite cuisante aux élections municipales de 2020, abstention record qui touche désormais la majorité des citoyens...
De ce fait la stratégie macronienne semble s'orienter vers la récupération de l'écologie politique (les Verts ayant remporté les élections municipales après leur percée aux européennes, et les manifestations écologistes s'étant multipliées au point d'estomper les manifestations syndicales et celles des gilets jaunes). Macron espère ainsi faire d'une pierre deux coups : récupérer ce mouvement à son profit et le relier au programme industriel concocté avec le Medef et les grands groupes capitalistes (automobiles et énergie, notamment nucléaire qui se profile derrière le tout électrique) ; détourner le mécontentement ouvrier vers cette impasse interclassiste totalement pipée et le piéger ainsi.
Il est probable que d'autres mesures démocratiques seront concédées, comme plus de proportionnelle et des référendums populaires, ainsi que le fameux revenu universel qui se substituera aux différentes allocations sociales et sera financé certainement par une taxation sur les actifs et les propriétaires fonciers. De ce fait certaines revendications des gilets jaunes seraient satisfaites et la mystification démocratique, surtout sous la forme de la démocratie sociale serait renforcée et le procès de réunification de la classe révolutionnaire sinon enrayé tout au moins rendu plus difficile.
Les communistes doivent reconnaître et appuyer les mouvements et les revendications prolétariennes mais ils doivent surtout mettre en avant les perspectives et la nécessité de dépassement de leurs limites et de leurs illusions. Ils doivent travailler non seulement à l'extension de ces mouvements mais encore à leur autonomisation vis-vis des autres classes sociales et des organisations politico syndicales et associatives depuis longtemps passées dans le camp de la bourgeoisie.
Par ailleurs, leur rôle, même si celui-ci ne peut suppléer au mouvement de la classe elle-même, ne peut pas se limiter à cela, car il leur revient avant tout de prévoir et anticiper les situations et élaborer la stratégie et la tactique révolutionnaires en fonction de ces prévisions. Ce n'est que de cette manière qu'ils pourront travailler dans le sens de la réunification du prolétariat en classe et en parti révolutionnaire.
Or la plupart des composantes de ce milieu, ultra réduit sur le plan numérique et divisé en micro-sectes opposées les unes aux autres, rendant improbable une quelconque intervention consciente et organisée dans la lutte directe entre les classes, ne travaille pas dans ce sens et tourne même le dos au travail théorique indispensable pour se vautrer dans l'activisme et l'immédiatisme. Pour la plupart ces micro-sectes ont largement renié le marxisme et pataugent dans le révisionnisme, ou bien se contentent d'une caricature de marxisme. Totalement coupées du prolétariat et essentiellement composées d'éléments provenant des nouvelles classes moyennes et du milieu universitaire, elles se sont opposées, dans leurs publications, au mouvement des gilets jaunes et l'ont traité de tous les noms d'oiseau. Attendre le mouvement purement prolétarien qui surgira magiquement de l'effondrement final automatique du capitalisme, telle est paradoxalement leur crédo et leur nouvelle religion
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